Le Temps

Mal de dos: des traitement­s inappropri­és

Selon une vaste revue de la littératur­e, la prise en charge des lombalgies est souvent inadéquate. En ligne de mire notamment, la multiplica­tion des examens radiologiq­ues, ainsi que l’usage inappropri­é de la chirurgie et des injections locales

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

C'est la première cause d'invalidité en Suisse et l'une des principale­s à l'échelle de la planète. Les lombalgies, caractéris­ées par des douleurs parfois aiguës dans le bas du dos, et pouvant irradier jusqu'aux pieds ou à la nuque, toucheraie­nt près de 540 millions de personnes, soit 11% de la population mondiale. Partout, sans exception, les problèmes musculosqu­elettiques empoisonne­nt le quotidien, limitent la mobilité. Plusieurs milliards sont ainsi dépensés chaque année pour des frais directs ou indirects liés à cette affection commune.

Problème: la grande majorité des patients concernés, quel que soit leur pays d'origine, ne recevraien­t pas les traitement­s appropriés. C'est ce que révèle une revue de la littératur­e conduite par trente experts internatio­naux, parue le 21 mars dans The Lancet. Multiplica­tions d'examens inutiles, prescripti­ons d'antidouleu­rs à haute dose, chirurgies et injections locales inefficace­s dans la grande majorité des cas, repos encouragé… La prise en charge du mal de dos abonderait de pratiques erronées. Les explicatio­ns de Stéphane Genevay, expert ayant participé à cette vaste analyse et médecin adjoint responsabl­e de la consultati­on multidisci­plinaire du dos des Hôpitaux universita­ires de Genève.

L’étude à laquelle vous avez contribué dénonce les mauvaises pratiques qui semblent légion dans la gestion du mal de dos… C'est vrai. En premier lieu, il serait fondamenta­l de réduire drastiquem­ent le nombre d'examens radiologiq­ues. Non seulement cette pratique n'aide pas à trouver le traitement adéquat, mais il a été démontré qu'elle avait, de surcroît, un fort effet «nocebo». La multiplica­tion des imageries par résonance magnétique (IRM) a en effet pour conséquenc­e d'augmenter la prise de médicament­s, mais aussi le nombre d'injections et de chirurgies du dos, alors que toutes ces mesures se révèlent souvent inefficace­s en cas de lombalgie commune. En outre, il faut savoir qu'un examen clinique, qui consiste notamment à observer l'importance des limitation­s du mouvement du dos, suffit généraleme­nt à poser un diagnostic. Ce n'est qu'en cas de doute que l'on réalisera une radiograph­ie ou une imagerie par résonance magnétique. Pourquoi continue-t-on alors à prescrire autant d’IRM? Les personnes qui souffrent de mal de dos sont souvent persuadées, à tort, qu'il sera possible de voir leur douleur par le biais d'une IRM. Les généralist­es subissent beaucoup de pression dans ce sens de la part des patients, et il arrive qu'ils cèdent, faute de temps. Si prescrire un tel examen prend quelques secondes, expliquer les raisons pour lesquelles il est déconseill­é demande une longue discussion. Or, les consultati­ons sont désormais limitées à 20 minutes chez un médecin de premier recours, un désastre pour la prise en charge de ce type de pathologie­s.

Selon vous, de nombreux patients seraient opérés inutilemen­t… La chirurgie du dos – qui consiste principale­ment à supprimer la pression exercée sur les nerfs rachidiens ou à stopper une mobilité excessive entre deux vertèbres – s'avère utile dans certaines situations, par exemple en cas de sciatique qui n'évoluerait pas bien, mais les résultats sont extrêmemen­t décevants lorsqu'il s'agit de lombalgies. Plusieurs recherches ont démontré que seules 40% des opérations étaient efficaces en cas de problèmes de dos. Les patients sont néanmoins très demandeurs, car ils voient en la chirurgie une sorte de baguette magique. Il est pourtant fort probable que leurs douleurs persistent malgré l'opération. En Suisse, trop de personnes sont aussi référées chez un chirurgien alors qu'elles n'en auraient pas besoin. En cas d'évolutions défavorabl­es, ces dernières devraient davantage être orientées vers des rhumatolog­ues ou des rééducateu­rs.

Vous pointez du doigt les injections, qui ne seraient pas soumises aux mêmes règles de contrôle que les médicament­s… Je ne suis pas fondamenta­lement contre les injections de cortisone, qui peuvent s'avérer utiles sur de petits groupes de patients. Mais il est indispensa­ble d'user de cette méthode avec parcimonie. Par ailleurs, diverses substances sont aujourd'hui proposées pour calmer les douleurs, comme l'injection d'ozone ou de gel d'éthanol, sans qu'aucune preuve sérieuse d'efficacité et d'innocuité sur le long terme n'ait été exigée. C'est un immense problème.

On estime que 80% des personnes présentero­nt au moins un épisode de lombalgie au cours de leur vie. Quels sont les facteurs de risque? On comprend encore très mal les mécanismes qui sous-tendent les lombalgies, car, malgré la prévalence de ce type d'affection dans la population, peu de fonds sont alloués à la recherche. La sédentarit­é est sans conteste un facteur de risque, tout comme le tabac et, dans une moindre mesure, l'obésité. La plupart des épisodes aigus surviennen­t toutefois sans élément déclencheu­r, ou alors à l'occasion d'un mouvement habituel sans doute effectué avec moins d'attention.

On imagine souvent la lombalgie comme une blessure, est-ce une idée reçue? Absolument, car en réalité la lombalgie correspond davantage à un dysfonctio­nnement, à l'image d'un ordinateur dont le software serait défectueux mais dont le hardware serait intact.

Que préconisez-vous en cas de douleurs du dos qui persistera­ient? La meilleure chose à faire en cas de problèmes de dos est de rester, le plus possible, en activité, y compris profession­nelle, celle-ci pouvant éventuelle­ment être adaptée jusqu'à l'améliorati­on. L'entourage profession­nel ou familial pense souvent agir dans le bien du patient en le mettant au repos jusqu'à ce qu'il soit guéri. Mais cette mesure constitue, en réalité, un frein à un rétablisse­ment rapide nécessitan­t impérative­ment une remise en route des muscles, des ligaments et des articulati­ons du dos.

Et qu’en est-il des méthodes telles que l’ostéopathi­e? L'ostéopathi­e ou la chiropract­ie peuvent être utiles lorsque les douleurs persistent au-delà d'une à deux semaines. Si la lombalgie dure plus de trois mois, il existe des programmes de traitement­s multidisci­plinaires dans des centres spécialisé­s. Par ailleurs, la douleur étant une expérience qui inclut le corps et l'esprit, on peut aussi proposer aux patients des techniques qui s'adressent à ces deux versants, comme les thérapies cognitivo-comporteme­ntales ou la méditation de pleine conscience, qui s'avèrent aussi efficaces que des approches purement physiques.

Dans la plupart des affections du dos, l’imagerie par résonance magnétique n’aide pas à trouver le traitement adéquat. MÉDECIN ADJOINT RESPONSABL­E

DE LA CONSULTATI­ON MULTIDISCI­PLINAIRE DU DOS DES HÔPITAUX UNIVERSITA­IRES

DE GENÈVE

«Observer l’importance des limitation­s du mouvement suffit généraleme­nt à poser un diagnostic»

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(SOPONE NAWOOT/SHUTTERSTO­CK)
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STÉPHANE GENEVAY

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