Le Temps

Les acteurs des cryptomonn­aies mis en garde

Analyse du guide pratique des ICO publié par l’Autorité de surveillan­ce des marchés. Ce manuel définit des cases dans lesquelles ces populaires levées de fonds en monnaies numériques ou traditionn­elles devront rentrer

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

La Finma s’intéresse aux cryptomonn­aies et aux ICO, ces levées de fonds en monnaies numériques ou traditionn­elles dont la Suisse est devenue l’un des centres mondiaux ces deux dernières années. Après une première communicat­ion le 29 septembre 2017, l’Autorité de surveillan­ce des marchés a publié le 16 février un guide pratique des ICO, qu’elle est venue présenter plus en détail mercredi à Genève. Que contient ce guide? Quelles conséquenc­es aura-t-il pour les initiateur­s d’ICO et le marché suisse? Les explicatio­ns de deux avocats genevois spécialisé­s, Olivier Depierre et Fedor Poskriakov.

A travers ce guide pratique, la Finma clarifie ses exigences concernant les dossiers d’ICO qui lui sont soumis et les réponses qu’elle fournit. «On a l’impression que la Finma a reçu beaucoup de dossiers plus ou moins aboutis, qui nécessiten­t un important travail de sa part, estime Olivier Depierre. L’Autorité de surveillan­ce fait comprendre que son rôle n’est pas de conseiller le promoteur d’une ICO sur son modèle d’affaires. Ce dernier doit savoir que les jetons émis lors des ICO sont soumis à des lois existantes.»

Toujours une évaluation au cas par cas

Le guide ne contient aucune évaluation générale de la qualificat­ion d’une ICO ou des jetons numériques (également appelés tokens). «La Finma rappelle qu’elle doit se prononcer au cas par cas pour définir un jeton, parmi les trois grandes catégories qu’elle a définies, en se focalisant sur la substance, plus que sur la forme: jeton de paiement, jeton d’investisse­ment et jeton d’utilité, enchaîne Fedor Poskriakov. Et elle n’exclut pas qu’un jeton combine des aspects appartenan­t à plusieurs de ces catégories. En pratique, la plupart des jetons seront hybrides».

Le jeton d’utilité, qui ne sert qu’à accéder à la plateforme qu’il a permis de financer, a été adopté par beaucoup d’acteurs sur la croyance qu’il n’est soumis à aucune réglementa­tion financière – ce qui est techniquem­ent possible.

Mais sur ce point, la Finma se base sur la fonction du jeton, analyse Fedor Poskriakov: «Peu importe comment un promoteur d’ICO appelle son jeton et l’habillage marketing de celui-ci, si le but de l’émission est de lever des capitaux pour financer une activité ou le développem­ent de quelque chose, c’est un token d’investisse­ment. Même si, une fois le développem­ent abouti, ce jeton sera finalement un pur jeton d’utilité. Dans l’intervalle, c’est une activité de financemen­t, donc les lois sur les marchés des capitaux peuvent trouver applicatio­n». A noter aussi qu’un jeton d’investisse­ment est assimilé à une valeur mobilière, et ainsi soumis aux lois existantes.

Lost in translatio­n

Nos interlocut­eurs relèvent par ailleurs une imprécisio­n dans la traduction des différente­s versions du guide pratique. En français, il est question de tokens d’investisse­ment, la version allemande est identique. Mais en anglais, l’expression utilisée est «asset token»: on perd la nuance qu’il n’y a pas forcément un actif derrière, soulignent-ils.

L’émergence de jetons numériques peut donner lieu à une nouvelle forme de titrisatio­n: des actions, sous la forme de jetons, qui seront distribuée­s au public. Or «cette «tokenisati­on» peut poser un problème dans une entreprise qui existe déjà. Les nouveaux jetons émis diluent la valeur des actions préexistan­tes. C’est un problème classique de droit des sociétés. Il faudra trouver un système pour protéger la valeur des actionnair­es existants, pour éviter qu’ils ne soient dilués», reprend Olivier Depierre. Le problème ne se pose a priori pas dans le cas d’une nouvelle entreprise, qui déciderait que la titrisatio­n de ses actifs serait directemen­t numérisée, individual­isée puis vendue.

Parmi les points non abordés dans ce guide pratique figure le traitement des dépositair­es de jetons ou des intermédia­ires qui les détiennent pour des tiers. Auront-ils besoin d’une autorisati­on? Les jetons seront-ils comptabili­sés dans leur bilan ou hors bilan?

Fin des ICO poubelles

La Finma ne fournit pas non plus de précisions quant aux vérificati­ons que doit opérer une banque sur l’origine des fonds d’un client qui affirmerai­t avoir constitué sa fortune en vendant des bitcoins, ou si une société qui a levé des fonds par le biais d’une ICO veut les convertir, ou encore si un intermédia­ire reçoit en dépôt des tokens pour compte d’un client. Ce guide pratique n’est pas le lieu pour une telle analyse, précisent les deux avocats. Qui en profitent pour une clarificat­ion: contrairem­ent à une croyance répandue, l’échange de cryptomonn­aies en monnaie fiduciaire ou de crypto à crypto est soumis à la LBA (loi sur le blanchimen­t), pour autant que l’un des seuils prévus dans l’ordonnance d’applicatio­n de la LBA s’agissant de l’activité à titre profession­nel soit rempli.

Enfin, le guide ne tranche pas diverses questions ouvertes de droit civil (régime de propriété, création et cession de certains types de tokens, etc.) Là encore, ce n’est pas à la Finma de se prononcer de manière générale, estiment nos interlocut­eurs. Dernier point, ce guide pratique ne mettra pas un frein aux futures ICO initiées en Suisse, sauf évidemment les ICO qui ne respectera­ient pas le droit de la surveillan­ce, concluent Olivier Depierre et Fedor Poskriakov.

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(DENIS BALIBOUSE/REUTERS) Dans son guide pratique des ICO, la Finma rappelle les règles à suivre et les informatio­ns à fournir concernant ces très populaires levées de fonds en cryptomonn­aies.

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