«Mauvaise langue» a su trouver son public
Successeur de «26 minutes», le «late show» humoristique présenté par Thomas Wiesel et son équipe a d’abord été vivement critiqué. Après quatre émissions, l’équipe semble avoir trouvé ses marques et les téléspectateurs sont au rendez-vous
Jingle, applaudissements, bonsoir enthousiaste et puis… rien. Regard interrogateur d’un caméraman en stand-by. Après une minute à peine, et suite à un problème technique, l’enregistrement est interrompu. «De toute façon, on était mauvais!» Appuyé sur son bureau d’animateur vedette, Thomas Wiesel est plus amusé qu’emprunté devant ce contretemps et, entre deux messages à l’oreillette, bavarde avec le public. «Qui a oublié de mettre son portable en mode avion?» blague quelqu’un. Et Wiesel: «En fait, c’est lui qui devrait présenter l’émission à ma place!»
Sur le plateau éphémère de Mauvaise langue, à Chauderon 18, Lausanne, l’humeur est potache. Un assistant de production joue le chauffeur de salle et la cinquantaine de spectateurs patiente, sourire aux lèvres et bière à la main. Au bout de quelques minutes, tout roule. Concentré, Thomas Wiesel fixe la caméra et se lance dans sa revue de l’actualité. Un sprint sarcastique d’une demi-heure entrecoupé d’extraits vidéo et des commentaires comico-absurdes de son acolyte Blaise Bersinger. Cette fois-ci, Poutine, Miss Suisse ou encore Tariq Ramadan en prennent pour leur grade, tandis que l’humoriste invité, Nathanaël Rochat, se charge de chambrer un ancien sélectionneur de la Nati peu dégourdi… L’audience s’esclaffe. Après quatre émissions, les mauvaises langues semblent avoir trouvé leur rythme (éclair) de croisière. «Les gens disent qu’on s’est améliorés, note Blaise Bersinger. Je crois surtout qu’ils se sont acclimatés à nous!»
Réactions violentes
Car tout n’avait pas si bien commencé. A peine la première émission diffusée, le 23 février dernier à 23h, les critiques pleuvent dans la presse et surtout sur le Web. «On s’en est pris plein la gueule, lâche Thomas Wiesel. Moi qui ai l’habitude du bashing sur les réseaux sociaux, j’ai quand même été surpris par l’ampleur et la violence des réactions. Cela n’a pas été facile pour l’équipe.» Et notamment pour Blaise Bersinger, dont c’était le baptême télévisuel. «Honnêtement, je l’ai très mal vécu. J’ai eu tout de suite besoin d’en parler avec l’équipe, pour essayer de comprendre. Parce que nous, on était très contents de cette première.»
Alors que certains évoquent des gags patauds, un rythme plat ou des prompteurs mal placés, on reproche avant tout aux humoristes leur manque de naturel. Wiesel se défend: «C’est le revers de la médaille du stand-up: ça a l’air tellement spontané que les gens ne réalisent pas les heures d’écriture derrière. Pour une émission comme celle-ci, tout est scripté. On ne peut pas juste se poser devant la caméra et improviser!»
Culturellement trop différent
Si, pour le Vaudois, certains commentaires reflètent alors davantage les tensions autour du débat «No Billag» que le contenu de l’émission elle-même, l’équipe a tout de même effectué quelques ajustements. «On a bossé pour mieux introduire chaque séquence et aussi pour affiner la pertinence de mes interventions, précise Blaise Bersinger. On se sent plus à l’aise.»
Petit à petit, la joyeuse bande, qui compte aussi le chroniqueur Yann Marguet, apprivoise l’exercice: repérage des actualités et répartition des sujets le dimanche, veille médiatique et photomontages la semaine, puis enregistrement vendredi dans l’ambiance décontractée d’un late-night show américain. Une idée de Thomas Wiesel. «Parce que c’est un format que j’apprécie personnellement, et le seul défi que je me sentais capable de relever.»
L’option séduit rapidement Thierry Ventouras, chef du divertissement de la RTS, qui voit dans un late show l’occasion de dissocier Mauvaise langue de son prédécesseur, le très apprécié 26 minutes. «On reste fidèle au traitement de l’actualité mais avec un prisme et une heure de diffusion différents. Cela évite de tomber dans la comparaison.» Il n’empêche, certains doutent que le late show trouve son public. «On nous a dit que personne ne regarderait parce que culturellement, c’était trop différent.»
Un goût de revanche
Alors, pendant trois mois, l’émission est soigneusement peaufinée, du contenu aux t-shirts de Thomas Wiesel. «On a tout retravaillé ensemble lors des maquettes, raconte Thierry Ventouras. Ces jeunes ont une approche rigoureuse, intelligente de l’actualité et des choses à dire sur le monde qui les entoure. En quelques semaines, ils sont parvenus à imposer leur style, ni lisse ni stéréotypé.»
Et les téléspectateurs semblent du même avis. Sur quatre émissions, Mauvaise langue a réuni en moyenne 61000 téléspectateurs, soit 14,7% de part de marché. «Ce chiffre dépasse nos attentes, autant en broadcast qu’en rattrapage, se réjouit Thierry Ventouras. Un vrai rendez-vous s’est créé.» Des résultats qui auraient presque un goût de revanche. «Cela prouve que la RTS peut innover, contrairement à ce qu’on a pu entendre pendant la campagne «No Billag». Quand on propose aux gens un nouveau concept qui parle de chez eux, ils répondent présent.» Pour le chef du divertissement, la RTS doit continuer à mettre l’humour romand en avant sur ses différents canaux, et ce, malgré les coupes budgétaires à venir.
Thomas Wiesel, lui, reste philosophe et se concentre sur la dizaine d’émissions à enregistrer d’ici à la fin de juin. «Ce late show est une sorte de parenthèse dans ma vie. Et on se marre bien, c’est le principal!»
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«Moi qui ai l’habitude du «bashing» sur les réseaux, j’ai quand même été surpris par l’ampleur et la violence des réactions» THOMAS WIESEL, HUMORISTE