«Hostiles», avec Christian Bale, retour aux riches heures du western
Scott Cooper cherche l’étincelle d’humanité dans le coeur des chiens de guerre
Un officier brutal a pour mission de convoyer une poignée d’Indiens à travers des territoires sauvages. La haine marche à leurs côtés. Ce western funèbre revendique la grandeur épique et le débroussaillage éthique Né en 1903 avec The Great Train
Robbery, le western est mort en 1992 avec Impitoyable. Au-delà des registres révisionniste, crépusculaire ou parodique, Clint Eastwood plantait avec ce film noir comme la nuit une pierre tombale sur le genre fondateur du cinéma américain.
Pourtant l’histoire est tellement complexe, la mythologie de la dernière frontière tellement vive, entre nostalgie d’un passé idéalisé et culpabilité génocidaire, sans parler de l’aspiration aux vastes espaces obscurément ressentie par les captifs du smartphone, que sans cesse le western revient à la vie. En variant l’indice de crépuscularité avec The Homesman, de Lee Jones, et des chefsd’oeuvre comme Dead Man, de Jim Jarmusch, ou L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford,
d’Andrew Dominik. En remakant les classiques – Les Sept Mercenaires, 3h10 pour Yuma, True Grit,The Revenant – avec des bonheurs divers. En tarantinant à plein pot (Django Unchained, Les Huit Salopards). En se planquant derrière des alibis comique ( Cowboys et envahisseurs), science-fictif (Westworld) ou horrifique (Bone Tomahawk).
CIVILISATEUR ARMÉ
Né en 1970 à Abingdon, Virginie, Scott Cooper est attiré par la slide guitar, les losers et les hors-la-loi comme en attestent l’excellent
Crazy Heart avec Jeff Bridges en chanteur de country décati, Les
Brasiers de la colère dédié au stress post-traumatique, et Strictly Criminal qui retrace l’ascension d’un mafieux irlandais. Le cinéaste était mûr pour un western.
L’action de Hostiles s’inscrit en 1892, deux ans après le massacre de Wounded Knee, auquel le capitaine Joseph J. Blocker (Christian Bale) a participé. Le vieux briscard se voit assigner une mission qui offense sa dignité de civilisateur armé: par ordre présidentiel, il doit escorter Yellow Hawk (Wes Studi), encagé au Nouveau-Mexique depuis des années, jusqu’au Montana où le vieux chef cheyenne veut mourir.
Une petite troupe, formée de deux fidèles officiers, d’un soldat fraîchement émoulu de West Point et d’un bleu, prend la piste avec Yellow Hawk, son fils Black Hawk, sa fille, sa belle-fille et un papoose. En chemin, l’escouade tombe sur Rosalie Quaid (Rosamund Pike) qui berce un enfant mort dans les cendres de son ranch. Un raid comanche a transformé sa petite maison dans la prairie en enfer. Son mari et ses deux filles ont été criblés de balles. Au bord de la folie, comme les femmes évacuées du Wild West dans The Homesman, Rosalie se joint au détachement du capitaine Blocker.
Une escarmouche comanche entraîne des pertes humaines. Blocker est confronté à une vieille dialectique de coureur de pistes: faut-il s’allier au serpent à sonnette pour chasser le serpent à sonnettes?
HUMANITÉ RENIÉE
Semblable à celle du personnage joué par John Wayne dans La Prisonnière du désert, sa haine de l’Indien est trop vive pour qu’il accepte l’alliance proposée par son prisonnier. Il remâche d’antiques exécrations: «Vous verrez ce que ces fils de pute peuvent faire. J’ai tué plein d’Indiens, parce que c’est mon job. Je les hais. J’ai une pleine sacoche de raisons de les haïr.»
Le capitaine Blocker et ses hommes, Yellow Hawk et sa famille sont les damnés de l’Ouest, le vrai. Ils ont guerroyé trop longtemps, ils ont fréquenté la mort de trop près. Pour survivre, ils ont renié leur humanité. «J’ai tué tout ce qui marche ou rampe», feule Blocker, paraphrasant le tueur impitoyable d’Impitoyable. Fati- gué, son vieux pote Billy, qui avait 14 ans quand il a tué son premier homme, s’auto-diagnostique atteint de mélancolie.
Ces réprouvés croient en Dieu, mais «le Seigneur a depuis longtemps fermé les yeux sur ce qui se passe ici». Ils ont pour mantra ce voeu nihiliste: «Parfois, j’envie le caractère définitif de la mort». Ils s’adonnent à des combats fratricides dans la boue, ils finissent par retourner leur arme contre eux…
Hostiles a la mort pour destination. Il perpétue la cruauté et le sentiment de déréliction qui embrasent le terrible Méridien de
sang, de Cormac McCarthy.
PRIÈRE PAÏENNE
Scott Cooper cherche pourtant l’étincelle d’humanité subsistant dans le coeur ténébreux des chiens de guerre. Blocker est sensible à la solidarité de l’Indienne tendant une robe à Rosalie. Il renie Willis (Ben Foster), un compagnon d’armes avec lequel il a fait Wounded Knee, un soudard condamné pour crimes de guerre. Une chan-
son triste qui s’égrène à la mandoline au coin du feu, l’offrande d’un morceau de tabac, une prière païenne sous la pluie permettent de croire que le salut existe.
En ébauchant un mouvement vers l’apaisement, Hostiles dément son exergue, empruntée à D.H. Lawrence: «L’âme américaine est par essence dure, solitaire, stoïque, c’est une tueuse. Elle n’a pas encore été délayée.» En prônant la solidarité interraciale, en montrant la force des femmes, le film fait entendre une voix très actuelle. Quant au vieux Cyrus Loude, opposant au décret présidentiel l’argument de son six-coups, il traduit l’individualisme contemporain et son corollaire, la défiance à l’égard des autorités. Sans atteindre au génie d’Impitoyable, ce western plein de douleur, de culpabilité et de folie rappelle la puissance métaphorique du genre. ▅
«Hostiles», de Scott Cooper (Etats-Unis, 2017), avec Christian Bale, Rosamund Pike, Wes Studi, Rory Cochrane, Adam Beach, Q’orianka Kilcher, Ben Foster, 2h14. Sortie mercredi 28 mars.