L’EI de retour en France
Une prise d’otages a fait trois victimes à Trèbes, dans le sud-ouest du pays. Daech a revendiqué l’attaque
Une fois encore, la terreur a surgi des zones d’ombre de la délinquance et de la radicalisation islamique salafiste en détention. Redouane Lakdim, 25 ans, vivait dans la cité Ozanam de Carcassonne (Aude). Né au Maroc, le jeune homme, connu comme un «dealer», avait été incarcéré en 2015. Il était fiché par la police 2014 en raison de sa radicalisation religieuse. Surveillé, il n’était toutefois pas apparu comme «dangereux» au point d’être remis en détention.
Trois morts, seize blessés
Les événements qui se sont déroulés vendredi dans sa ville, puis à Trèbes, une agglomération voisine, ont prouvé le contraire. Entre 9 heures du matin et 14h30, moment de l’assaut des forces de l’ordre, l’intéressé a tué trois personnes et en a blessé seize, dont deux gravement. Une tragédie en trois actes: un vol de voiture matinal à Carcassonne qui s’achève par des tirs sur le conducteur et la mort du passager; des tirs sur des CRS en train de faire leur jogging après un premier repérage à proximité d’une caserne militaire; une prise d’otages dans un supermarché de Trèbes, à huit kilomètres de là. Redouane Lakdim a trouvé la mort à l’issue de cette dernière action, blessant grièvement par balles un colonel de gendarmerie qui s’était, quelques heures plus tôt, proposé pour remplacer les otages.
Les circonstances du drame ressemblent, trois ans après, à celles de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes à Paris le 9 janvier 2015, lorsque Amedy Coulibaly avait pris en otages dix-sept clients de cette supérette juive, tuant quatre d’entre eux avant de mourir les armes à la main lors de l’assaut policier. Délinquant lui aussi radicalisé en prison, Coulibaly avait coordonné son attaque avec les frères Kouachi, auteurs eux du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo deux jours plus tôt.
Autre lien entre le parcours meurtrier de Redouane Lakdim et d’autres attentats survenus en France: le lieu de son attaque. Carcassonne a connu, dans le passé, plusieurs descentes de police en raison de la présence d’apprentis djihadistes dans ses quartiers. En 2008, des interpellations avaient même eu lieu à Trèbes. Carcassonne est aussi proche de trois lieux emblématiques du djihadisme à la française: Toulouse, où Mohammed Merah a tué sept personnes en mars 2012; Artigat (Ariège), où réside toujours «l’émir blanc» d’origine syrienne Olivier Corel (gourou de nombreux djihadistes); et Lunel (Hérault), d’où sont partis une vingtaine de combattants français de Daech.
Les attaques de Carcassonne et Trèbes, revendiquées par Daech, sont le deuxième acte de terrorisme meurtrier perpétré depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Deux femmes avaient été tuées à l’arme blanche à la gare Saint-Charles de Marseille en octobre 2017 par un homme tué ensuite par des militaires en patrouille.
La crainte des «revenants»
Ce nouvel attentat intervient alors que le débat est vif, en France, sur les «revenants», ces anciens djihadistes ou membres de leur famille interpellés après la chute de Mossoul (Irak) et Raqqa (Syrie), les deux sanctuaires de la nébuleuse islamique extrémiste.
Les enquêteurs devront déterminer si Redouane Lakdim – qui a crié «Allah Akbar» et réclamé la libération de Salah Abdeslam, l’unique survivant des commandos responsables des attentats du 13 novembre 2015 à Paris – avait des liens avec des commanditaires de Daech. Une de ses proches a été arrêtée. Environ 700 combattants français seraient encore opérationnels en Syrie et en Irak. Plusieurs djihadistes de premier plan seraient cependant morts récemment, parmi lesquels Fabien Clain, ancien disciple de la filière d’Artigat, et Sabri Essid, mentor de Mohammed Merah dont le frère, Abdelkader, a été condamné l’an dernier à vingt ans de détention.
Le gouvernement français, qui a décidé en novembre 2017 la levée de l’état d’urgence imposé le 13 novembre 2015, se retrouve sur la sellette. La réalité prouve que la menace de Daech perdure en France, et que le troisième plan de «déradicalisation» annoncé en
«Il n’y a plus de terroristes types mais une diversité de profils, allant du militant au malade mental» ALAIN BAUER, CRIMINOLOGUE
février reste un chantier très ardu. Deux projets d’attentats auraient été déjoués depuis janvier, dont l’un contre un grand équipement sportif, selon le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. 300 détenus islamistes sont à l’isolement dans les prisons françaises et la création de 450 places supplémentaires est prévue. Plus de 1500 radicalisés dangereux sont suivis par la police.
«Il n’y a plus de profils terroristes types mais une diversité de profils, allant du militant en mission au malade mental […]. Avec l’Etat islamique, on est passé au terrorisme à la carte, avec multiplicité des modes opératoires», juge le criminologue Alain Bauer dans son dernier livre «Les Guetteurs» (Ed. Odile Jacob). La tuerie de Carcassonne vient à nouveau de le prouver. ■