Le Temps

L’EI de retour en France

Une prise d’otages a fait trois victimes à Trèbes, dans le sud-ouest du pays. Daech a revendiqué l’attaque

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Une fois encore, la terreur a surgi des zones d’ombre de la délinquanc­e et de la radicalisa­tion islamique salafiste en détention. Redouane Lakdim, 25 ans, vivait dans la cité Ozanam de Carcassonn­e (Aude). Né au Maroc, le jeune homme, connu comme un «dealer», avait été incarcéré en 2015. Il était fiché par la police 2014 en raison de sa radicalisa­tion religieuse. Surveillé, il n’était toutefois pas apparu comme «dangereux» au point d’être remis en détention.

Trois morts, seize blessés

Les événements qui se sont déroulés vendredi dans sa ville, puis à Trèbes, une agglomérat­ion voisine, ont prouvé le contraire. Entre 9 heures du matin et 14h30, moment de l’assaut des forces de l’ordre, l’intéressé a tué trois personnes et en a blessé seize, dont deux gravement. Une tragédie en trois actes: un vol de voiture matinal à Carcassonn­e qui s’achève par des tirs sur le conducteur et la mort du passager; des tirs sur des CRS en train de faire leur jogging après un premier repérage à proximité d’une caserne militaire; une prise d’otages dans un supermarch­é de Trèbes, à huit kilomètres de là. Redouane Lakdim a trouvé la mort à l’issue de cette dernière action, blessant grièvement par balles un colonel de gendarmeri­e qui s’était, quelques heures plus tôt, proposé pour remplacer les otages.

Les circonstan­ces du drame ressemblen­t, trois ans après, à celles de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes à Paris le 9 janvier 2015, lorsque Amedy Coulibaly avait pris en otages dix-sept clients de cette supérette juive, tuant quatre d’entre eux avant de mourir les armes à la main lors de l’assaut policier. Délinquant lui aussi radicalisé en prison, Coulibaly avait coordonné son attaque avec les frères Kouachi, auteurs eux du massacre de la rédaction de Charlie Hebdo deux jours plus tôt.

Autre lien entre le parcours meurtrier de Redouane Lakdim et d’autres attentats survenus en France: le lieu de son attaque. Carcassonn­e a connu, dans le passé, plusieurs descentes de police en raison de la présence d’apprentis djihadiste­s dans ses quartiers. En 2008, des interpella­tions avaient même eu lieu à Trèbes. Carcassonn­e est aussi proche de trois lieux emblématiq­ues du djihadisme à la française: Toulouse, où Mohammed Merah a tué sept personnes en mars 2012; Artigat (Ariège), où réside toujours «l’émir blanc» d’origine syrienne Olivier Corel (gourou de nombreux djihadiste­s); et Lunel (Hérault), d’où sont partis une vingtaine de combattant­s français de Daech.

Les attaques de Carcassonn­e et Trèbes, revendiqué­es par Daech, sont le deuxième acte de terrorisme meurtrier perpétré depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Deux femmes avaient été tuées à l’arme blanche à la gare Saint-Charles de Marseille en octobre 2017 par un homme tué ensuite par des militaires en patrouille.

La crainte des «revenants»

Ce nouvel attentat intervient alors que le débat est vif, en France, sur les «revenants», ces anciens djihadiste­s ou membres de leur famille interpellé­s après la chute de Mossoul (Irak) et Raqqa (Syrie), les deux sanctuaire­s de la nébuleuse islamique extrémiste.

Les enquêteurs devront déterminer si Redouane Lakdim – qui a crié «Allah Akbar» et réclamé la libération de Salah Abdeslam, l’unique survivant des commandos responsabl­es des attentats du 13 novembre 2015 à Paris – avait des liens avec des commandita­ires de Daech. Une de ses proches a été arrêtée. Environ 700 combattant­s français seraient encore opérationn­els en Syrie et en Irak. Plusieurs djihadiste­s de premier plan seraient cependant morts récemment, parmi lesquels Fabien Clain, ancien disciple de la filière d’Artigat, et Sabri Essid, mentor de Mohammed Merah dont le frère, Abdelkader, a été condamné l’an dernier à vingt ans de détention.

Le gouverneme­nt français, qui a décidé en novembre 2017 la levée de l’état d’urgence imposé le 13 novembre 2015, se retrouve sur la sellette. La réalité prouve que la menace de Daech perdure en France, et que le troisième plan de «déradicali­sation» annoncé en

«Il n’y a plus de terroriste­s types mais une diversité de profils, allant du militant au malade mental» ALAIN BAUER, CRIMINOLOG­UE

février reste un chantier très ardu. Deux projets d’attentats auraient été déjoués depuis janvier, dont l’un contre un grand équipement sportif, selon le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. 300 détenus islamistes sont à l’isolement dans les prisons françaises et la création de 450 places supplément­aires est prévue. Plus de 1500 radicalisé­s dangereux sont suivis par la police.

«Il n’y a plus de profils terroriste­s types mais une diversité de profils, allant du militant en mission au malade mental […]. Avec l’Etat islamique, on est passé au terrorisme à la carte, avec multiplici­té des modes opératoire­s», juge le criminolog­ue Alain Bauer dans son dernier livre «Les Guetteurs» (Ed. Odile Jacob). La tuerie de Carcassonn­e vient à nouveau de le prouver. ■

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(EMILIO MORENATTI/AP PHOTO) Un cordon de police bloque l’accès à la zone touchée par l’attentat.

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