Le Temps

Simulacre d’élection en Egypte

Les Egyptiens s’apprêtent à se rendre aux urnes dans un climat de profond désenchant­ement. Sous le général Al-Sissi, leur quotidien conjugue appauvriss­ement et répression

- NADIA BLÉTRY ET ERIC DE LAVARÈNE, LE CAIRE

«Il n’y a pas de place pour ceux qui parlent une autre langue que celle du régime en place», confie Mohamed Anouar el-Sadate, dans son élégant bureau où trônent plusieurs portraits de son oncle, ancien président égyptien assassiné en 1981. Dénonçant le climat de violence, ce candidat à la présidenti­elle s’est retiré quelques semaines avant le scrutin présidenti­el, qui se déroulera du lundi 26 au mercredi 28 mars. «Quand j’ai annoncé que je souhaitais me présenter, fin 2017, le climat politique était déjà compliqué. Puis il y a eu des pressions, par exemple le refus de nous permettre d’organiser des conférence­s de presse ou des meetings dans des hôtels. Dans plusieurs gouvernora­ts, certains de mes partisans ont été intimidés. On a directemen­t menacé leur famille, leur travail.»

Comme Mohamed Anouar el-Sadate, tous les challenger­s sérieux du président sortant auront fini par jeter l’éponge avant le scrutin. Certains ont été emprisonné­s, d’autres inquiétés au moment où ils se préparaien­t à faire campagne. L’espace politique n’a jamais été aussi réduit en Egypte: une seule figure est en fait mise en avant, Abdel Fattah al-Sissi, dont la victoire face à un unique prétendant sans relief, Moussa Mostafa Moussa, est certaine.

En quatre ans de règne sans partage, l’ancien maréchal aura réussi à faire taire toute voix discordant­e et ainsi mettre un terme à la parenthèse révolution­naire née en janvier 2011 à la suite du Printemps tunisien. Selon l’organisati­on de défense des droits de l’homme Human Rights Watch, près de 60000 opposants politiques croupissen­t dans les geôles du régime, où la torture serait devenue un outil de répression permanent. Depuis 2013, plus de 1200 personnes sont par ailleurs portées disparues, certaineme­nt enlevées par les forces de sécurité.

Un fiasco économique

Selon Mohamed Anouar el-Sadate, l’étau s’est refermé sur une jeunesse qui aspirait à un peu plus de liberté pour pouvoir se projeter dans l’avenir, une jeunesse qui représente pourtant plus de 60% des 105 millions d’Egyptiens: «Depuis cinq ou six ans, la plupart des jeunes n’osent plus s’impliquer en politique ni même dans la vie sociale. Il n’y a plus d’espace pour eux. Et ceux qui ont pu le faire ont quitté le pays», insiste-t-il avec un geste de dépit.

Jeannette Magdy Ibrahim, 21 ans, elle, n’ira pas voter. Malgré la peur de la répression, elle se confie dans un café discret du centre-ville. Cette jeune abstention­niste se dit «dégoûtée» par le climat politique. «Le président Sissi a confisqué le champ politique à son profit. Que j’aille voter ou non ne servira à rien.» Perte de liberté et répression s’accompagne­nt pour Jeannette d’un fiasco économique. L’étudiante en lettres l’assure: «Un jeune de 20 ans ne se voit plus d’avenir. Le chef de l’Etat a mis en place de grands projets comme le canal de Suez ou la nouvelle capitale, mais ça n’a aucun impact sur la population. Ce sont des projets à long terme qui ne répondent pas à nos urgences.»

Pour satisfaire aux exigences du Fonds monétaire internatio­nal, Le Caire a également mis en place de grandes réformes comme la baisse des subvention­s sur le gaz, l’électricit­é ou l’essence. Si le pays affiche une croissance de 4% pour l’année 2016-2017, une grande partie de la population est exclue du développem­ent.

Les classes moyennes et défavorisé­es se sont appauvries et les plus touchés sont les jeunes. 26% d’entre eux sont aujourd’hui au chômage. Réduits au silence, ils ont pour seul choix de voter pour Abdel Fattah al-Sissi ou de se taire. Car l’espace public est entièremen­t contrôlé par le régime. Preuve en sont les banderoles géantes à l’effigie du président candidat qui ont envahi toutes les rues du Caire et des grandes villes du pays. Aucun passant ne peut échapper au regard du chef de l’Etat sortant, ni à la surveillan­ce du régime.

Des groupes djihadiste­s

«Vous voyez comme le peuple aime notre raïs, assure un vendeur de vêtements devant sa boutique. Ce sont les gens du quartier qui ont payé pour mettre toutes ces banderoles.» Un discours véhiculé par les partisans du gouverneme­nt mais souvent mis à mal, si l’on gratte un peu: de nombreux commerçant­s assurent avoir reçu des pressions pour installer ces panneaux.

Aucune pression en revanche pour Nervine Azim, qui est une inconditio­nnelle du chef de l’Etat. Issue d’une famille de militaires, cette créatrice de bijoux défend en particulie­r sa politique sécuritair­e. «En ce moment on lutte contre le terrorisme, et à mon avis on a encore besoin de lui. Pour vous dire la vérité, il me donne de la force.»

Le bilan sécuritair­e du chef de l’Etat, qui assure être un rempart contre l’islamisme, dans un MoyenOrien­t en proie à l’instabilit­é, est pourtant mitigé. Malgré plus de quatre ans d’opérations militaires contre la branche locale de l’Etat islamique, dans le nord du Sinaï, l’armée n’a pas réussi à défaire les groupes djihadiste­s. Le 2 avril prochain, quand les résultats seront annoncés, Abdel Fattah al-Sissi devrait être néanmoins réélu pour un second mandat.

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(MOHAMED ABD EL GHANY/REUTERS) Un portrait du dictateur au Caire, quelques jours avant les élections.

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