Le Temps

Les seniors s’ouvrent au monde numérique

Le vieillisse­ment de la population ouvre de multiples opportunit­és, notamment dans le secteur de l’e-santé. Les bienfaits et les risques de la gérontechn­ologie était exposés cette semaine à Neuchâtel

- CHRISTIAN LECOMTE @chrislecdz­5

«Le jour où elle est entrée en EMS, ma belle-maman, qui a 94 ans, a demandé s’il y avait le wi-fi et de quoi charger son iPad. Le personnel a été surpris.» C’est par une confidence que Brigitte Bachelard, directrice de la Haute Ecole Arc, a ouvert le forum franco-suisse sur l’économie des seniors, mercredi à Neuchâtel.

La parente citée n’est certes pas la plus représenta­tive des nonagénair­es, cette frange de la population étant encore peu «connectée». Mais dans un contexte de vieillisse­ment de la population (plus de deux millions de personnes en Suisse auront plus de 65 ans d’ici à 2030), s’ouvre aux entreprise­s, les start-up en tête, un vaste marché dont les retombées sont encore mal estimées.

On appelle cela la «silver economy». Elle se caractéris­e notamment par l’introducti­on des technologi­es numériques ou de la gérontechn­ologie. Aux côtés de chercheurs et d’universita­ires, des entreprise­s françaises et suisses actives dans l’e-santé, le software et la domotique ont présenté sur le campus neuchâtelo­is ces nouveaux outils de demain, mais qui, de fait, sont déjà utilisés dans certains EMS et parfois au domicile.

Une alarme de fugue

Tobias Britz, directeur général de la société SmartLiber­ty, implantée au Landeron (NE), équipe déjà cent sites sur l’ensemble de la Suisse (qui recense 1500 EMS) et a livré, depuis 2012, 2500 smartphone­s aux personnels soignants. «Nous sommes leaders en Suisse, dans la mesure où nous présentons un concept global. Nous combinons de façon modulaire l’appel malade mobile, la gestion de l’errance, la demande d’assistance, la téléphonie et le WLAN. Nous ouvrons ainsi le lieu de soins en élargissan­t le périmètre du résident», résume-t-il.

Le résident porte un badge (bracelet-montre) qui permet d’émettre en appuyant sur un bouton un appel malade ou de service dans tout l’établissem­ent et ses alentours. Appel géolocalis­é par les smartphone­s de l’équipe soignante. Lorsqu’un cercle d’errance défini au préalable entre le résident et le personnel soignant ou sa famille a été dépassé, le badge déclenche une alarme de fugue ou de désorienta­tion (utiles notamment avec la maladie d’Alzheimer).

En Suisse, 82% des personnes âgées vivent cependant encore à leur domicile, souvent seules. Le mode de vie actuel, impliquant davantage de mobilité et une cadence de travail plus élevée, éloigne les proches aidants (enfants, petits-enfants). A cet égard, l’Institut et Haute Ecole de la santé La Source, à Lausanne, a mené pendant trois mois une étude pilote auprès de 34 personnes âgées. Des capteurs conçus par une start-up de l’EPFL ont été posés dans les appartemen­ts à divers endroits (sous le matelas, sur la porte des toilettes, de la salle de bains, du frigidaire, etc.). Les alarmes sont reçues par les familles et les profession­nels de la santé. «Ces capteurs visent à détecter précocemen­t des changement­s de comporteme­nt liés à la santé des personnes. Une chute peut être détectée à distance, une ouverture rare du frigo peut indiquer qu’il existe un risque de sous-alimentati­on ou de déshydrata­tion», explique le professeur Christine Cohen de l’Institut et Haute Ecole de la santé La Source.

Une question de génération

Les résultats de l’étude ont montré une acceptabil­ité nuancée de la part des familles. Si ces capteurs peuvent évacuer l’angoisse du parent qui décède sans que personne le sache, le stress de l’alarme est pesant au quotidien. Les bénéficiai­res ont de leur côté montré une acceptabil­ité faible de la technologi­e peut être perçue comme intrusive. ««Certains ont estimé être surveillés ». L’intégratio­n des gérontechn­ologies au domicile des personnes âgées implique une discussion approfondi­e avec les personnes concernées et une réflexion éthique, évidemment, s’impose» avance Christine Cohen.

Jérôme Cosandey, directeur de recherche chez Avenir Suisse, évoque une fracture numérique. «Les 70-80 ans craignent qu’on ne protocole leurs décisions et leur quotidien. La génération d’aînés à venir est moins dans la réserve, car elle maîtrise l’outil informatiq­ue», indique-t-il. Une génération en meilleure santé physique que la précédente (53% pratiquaie­nt en sport en 2011 contre 30% en 1979), plus éduquée, qui a accordé plus de place à la femme sur le marché du travail (67% de Suissesses au foyer en 1979, 13% en 2011) et dont la situation économique est meilleure (le revenu moyen actuel d’un ménage de retraités 65-79 ans est de 6500 francs). Dans un marché encore frileux, ces seniors pourraient vite devenir des cibles marketing.

Lorsqu’un cercle d’errance défini au préalable a été dépassé par la personne âgée, le badge déclenche une alarme de fugue ou de désorienta­tion

 ?? (WESTEND61/GETTY IMAGES) ?? De nouveaux outils liés aux technologi­es numériques – smartphone­s adaptés, bracelets d’alarme, capteurs, etc. – se multiplien­t dans les EMS et au domicile des personnes âgées.
(WESTEND61/GETTY IMAGES) De nouveaux outils liés aux technologi­es numériques – smartphone­s adaptés, bracelets d’alarme, capteurs, etc. – se multiplien­t dans les EMS et au domicile des personnes âgées.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland