«Nous avons donné une fierté multiculturelle à la France»
Ancien joueur des Bleus, désormais ambassadeur de l’UEFA, Christian Karembeu s’engage de toute son aura contre le racisme, dans le sport comme ailleurs. Rencontre à Neuchâtel
Vingt ans après France 98, Christian Karembeu est de ces champions du monde dont l’aura et la notoriété sont restées intactes. Ses résultats sportifs, sa personnalité ouverte et le couple glamour qu’il a formé jusqu’en 2011 avec la top model d’origine slovaque Adriana ont durablement gravé son visage dans l’inconscient collectif. L’UEFA ne s’y est pas trompée en le recrutant, dès 2015, comme ambassadeur.
L’ancien milieu de terrain (47 ans) parcourt aujourd’hui le monde pour prêcher la bonne parole contre le racisme qui continue de gangrener le football, et le monde. Jeudi, il était à Neuchâtel pour participer à une table ronde sur le sujet à l’invitation du Centre international d’étude du sport (CIES), où Le Temps l’a rencontré.
Plusieurs incidents à caractère raciste ont pourri le début de l’année 2018 des championnats européens. Malgré les campagnes de sensibilisation, malgré les actions officielles, le football en est toujours là? Il faut se retenir de penser global à partir d’actes qui n’ont rien à voir entre eux. Quand Blaise Matuidi est ciblé par des cris de singe, comme chaque fois que cela se produit, il y a les agissements de groupuscules qui n’ont pas leur place dans les stades. Il faut les en exclure, car ils n’ont pas compris que la valeur cardinale du sport est le partage avec tout le monde, la convivialité. Il est très compliqué d’accepter leur malveillance, mais je ne veux pas non plus que le football soit pris en otage. Arrêter un match si cela va trop loin, d’accord, mais il ne faut pas que cela devienne trop récurrent.
Les sanctions prises sont-elles assez sévères? On peut distribuer toutes les sanctions qu’on veut, la réelle difficulté est de mettre en route un changement. Mon combat est là et il dépasse le cadre du football. J’aimerais que dans l’éducation, à l’école, on aborde l’histoire et les questions des différentes civilisations pour faire comprendre aux enfants qu’il n’y a pas de «races» au sein de l’espèce humaine. C’est pour ça que le racisme n’a pas de sens: il ne repose pas sur une réalité scientifique. Nous sommes tous les mêmes.
En 1931, votre arrière-grand-père a fait le voyage depuis la Nouvelle-Calédonie, où vous êtes né également, pour être exhibé comme un animal lors de l’Exposition coloniale de Paris. Quel impact cela a-t-il eu sur vous? La France a commis des erreurs, mais il faut les replacer dans le contexte de l’époque coloniale. Et aujourd’hui, c’est à nous de réécrire l’histoire à la lumière de ce que l’on sait désormais. Il faut dépasser l’histoire telle qu’elle a été écrite par chaque roi pour que chaque individu puisse trouver sa place dans le monde.
«Le racisme n’a pas de sens. Nous sommes tous les mêmes»
Avez-vous personnellement été victime de racisme sur les terrains de football? Je vais répondre non. Ai-je entendu des cris, des insultes? Oui. Mais j’ai toujours refusé de prendre acte pour ne pas les valoriser. Je me concentrais sur mon travail, qui était de délivrer une performance.
En 1998, vous devenez champion du monde avec les Bleus version «black-blanc-beur». Quelle importance a eu cette équipe dans l’évolution des mentalités? Cette équipe a gravé dans le marbre l’identité multiculturelle de la France. La France black-blancbeur, ce n’était pas notre équipe, c’était le pays. Nous lui avons donné un visage. Nous lui avons donné une fierté. Nous avons montré que la France dans toute sa diversité pouvait être une France qui gagne.
Qu’en est-il de l’héritage de cette équipe? Cette équipe sacrée championne du monde, c’était porteur d’espoir. Tout le pays a fait la fête ensemble, c’était magnifique. Derrière, qu’est-ce qu’on remarque? Un Noir aux Etats-Unis, c’est un Afro-Américain: on le renvoie à ses origines africaines. Un Noir en France, c’est un Français. Bon, c’est vrai, surtout quand il gagne… Ce n’est pas en une victoire qu’on change tout. Mais la nôtre a permis de rendre visible toutes les communautés. Pour moi, il y a une génération France 98 comme il y a eu une génération mai 68.
Aujourd’hui, l’affaire Benzema montre tout de même que le sujet reste sensible. Certains veulent y voir un symptôme d’une fracture communautaire française… A mon avis c’est une erreur. En France comme ailleurs, il y a un sélectionneur qui fait ses choix. Karim Benzema est un excellent joueur, mais il a été mêlé à des affaires qui ne l’ont pas servi… Je crois qu’il ne faut pas tomber dans le piège de voir du racisme dans chaque affaire. C’est contre-productif.