Le Temps

Les règles d’or de Maud Tabachnik

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Codes. «Je ne crois pas qu’il y ait des secrets, mais il y a des codes. Il faut éviter que votre lecteur ne pose votre livre et en prenne un autre. Il faut donc de multiples rebondisse­ments. Mais il lui faut aussi des plages pour reprendre souffle, pour que le lecteur puisse respirer et se faire sa «politique propre» du livre.

»Je ne suis absolument aucun plan. Quand j’écris la page 40, je ne sais pas ce qui va se passer à la page 41. Sinon je m’ennuie. Ce qui me porte, c’est de me raconter l’histoire.»

Personnage­s. «Je connais mes personnage­s mais ils évoluent. Entre le début et la fin du livre, ils ont vécu l’histoire. Je ne sais pas toujours ce qu’ils vont faire. Ce n’est pas une coquetteri­e d’auteur que de dire qu’ils échappent, parfois, à l’auteur. C’est nous qui décidons bien sûr, mais on ne leur fait pas faire ce qu’on veut. Ils se comportent de telle manière que, plus on avance, plus les choix se restreigne­nt.»

Sécher l’écriture. «Il faut muscler. Il faut sécher. Les phrases de Marcel Proust sont magnifique­s, charnelles, florissant­es, mais tout le monde ne sait pas faire ça. Ce qu’il faut, c’est serrer l’écriture. Quel que soit le genre de livre, pas seulement en littératur­e noire, en littératur­e blanche aussi. Il faut parfois enlever une page entière. C’est dur, mais il faut le faire, il ne faut pas hésiter. Dernièreme­nt, j’ai dû jeter des dizaines de pages différente­s. Moralement, ce n’est pas drôle. Des semaines de travail pour rien.»

Adjectifs. «Il faut éviter les adjectifs. Les auteurs en mettent, croyant renforcer leur propos. Il faut que le mot choisi soit placé dans la phrase de telle manière qu’on n’ait pas besoin de le renforcer avec un adjectif. Si on en trouve, il faut les barrer. Et se débrouille­r. Placer son mot ailleurs, construire sa phrase différemme­nt pour que ça reste tendu. Il faut être exigeant avec soi. Ne pas se laisser aller.»

Terminer un livre. «Comment finir? Je n’en sais rien. Je ne sais pas puisque je n’ai pas de plan. Je le sens. L’intuition n’est pas une science exacte. Trois pages avant, je ne sais pas que le livre va se terminer. Par exemple dans Danser avec le diable, la fin terrible, ouverte, du roman n’était pas programmée. Trouver un titre, c’est difficile. Moi, je le cherche après coup, mais ce n’est pas facile. En tant que lectrice un titre vous attire ou pas. Il ne faut pas qu’il en dise trop.»

Genre. «J’aime beaucoup écrire des nouvelles. C’est un peu comme une chanson qui dure trois minutes et qui vous raconte toute une histoire. Dans une nouvelle, vous n’avez que quelques pages, un début, un milieu et une fin: la chute. C’est une belle gymnastiqu­e. Je ne le conseille pas à un débutant parce que, malheureus­ement, ça ne se vend pas dans nos pays. Il faut être connu pour pouvoir en publier.»

Se faire éditer. «La Vie à fleur de terre, mon premier roman, a été pris tout de suite. Je l’ai envoyé chez Denoël et trois jours après, on m’a téléphoné pour me dire: on vous le prend. Mais retrouver cet état de grâce, c’est très difficile. Cela dit, je n’ai jamais eu de problème d’édition. Je vis un état de grâce complet, mais c’est une chance. Il faut savoir que c’est de plus en plus difficile. Il est très rare que ça démarre comme ça.

»Ce que j’attends de mes éditeurs ou plutôt de mes éditrices – je n’ai eu que des éditrices – c’est un oeil neuf. Qu’elles me disent: là ton personnage n’est pas assez charnel, il faiblit un peu. Ce sont des profession­nelles, je les écoute. Certains auteurs refusent qu’on touche une virgule. Je ne suis pas sûre qu’ils aient raison.»

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