Le Temps

Fanny Smith, la dyslexie comme moteur de la réussite en skicross

A 25 ans, la Vaudoise Fanny Smith a décroché sa première médaille olympique en se battant corps et âme. Elle a appris à le faire en même temps qu’elle luttait, enfant, pour lire et écrire

- PROPOS RECUEILLIS PAR LIONEL PITTET @lionel_pittet

La températur­e est douce à Lausanne en cet après-midi de mars. Il n’en faut pas moins à Fanny Smith pour réaliser que sa saison est déjà terminée. Ainsi va la vie des athlètes de skicross: ils passent leur année à se préparer pour trois petits mois de compétitio­n. Avant de partir découvrir le Vietnam avec son ami et un sac à dos, la Vaudoise de 25 ans jette un dernier regard sur l’hiver qui s’achève et ce qu’il a changé pour elle.

Côté coulisses, elle a rejoint le giron de Swiss-Ski après neuf ans dans sa propre structure privée. Côté piste, elle a renoué avec la victoire en Coupe du monde et remporté sa première médaille olympique (de bronze) à Pyeongchan­g. Et en marge, elle a commencé à parler ouvertemen­t de sa dyslexie, désormais convaincue que ce qui a fait souffrir la petite Fanny a aussi façonné la championne qu’elle est devenue.

Que représente pour vous la médaille gagnée à Pyeongchan­g? Avant tout une reconnaiss­ance du travail accompli. En finale, je suis allée chercher le bronze en étant plus combative, plus agressive que d’habitude, les points précis que j’essayais d’améliorer les mois précédents. Alors, à l’arrivée, j’étais fière de ce que j’avais fait lors de ce dernier run. Sur le moment, j’ai parlé d’un accompliss­ement mais je vois aujourd’hui ce podium comme une étape. D’autres défis m’attendent.

L’un des premiers que vous avez dû relever dans votre vie aura été de surmonter votre dyslexie. Pourquoi avoir commencé à en parler publiqueme­nt? Je crois que cela peut motiver des jeunes dans la même situation que moi. Je veux leur dire que la dyslexie, ce n’est pas la fin du monde. Il y a plein de belles choses à faire même si c’est la catastroph­e à l’école. Enfant, on te dit que si tu n’as pas de papier, pas de diplôme, cela ne va pas aller. Du coup, tu te dis: «Mon Dieu, mais qu’est-ce que je vais faire de ma vie?» Mais si tu as une passion et que tu es prêt à te donner les moyens de réussir, rien n’est perdu. Quand votre dyslexie a-t-elle été repérée? Très tôt. Ma maman est prof d’école enfantine. Elle a vu tout de suite qu’il y avait un problème. C’est devenu flagrant dès que j’ai commencé à apprendre à lire et à écrire… Mes parents ont essayé toutes les méthodes pour m’aider. Elles sont restées un peu inutiles. Aujourd’hui encore, si je dois lire un texte en public, je me sens très mal. Si je dois envoyer un e-mail, cela me prend un temps fou.

Comment cela se passait-il avec vos camarades? Tu as très vite des remarques. Des moqueries. Cela te touche, ce n’est jamais très drôle quand on se fout de toi… Après, je compensais avec d’autres choses. J’étais casse-cou, un peu garçon manqué et je traînais surtout avec des garçons. A skis, j’étais la seule à oser faire certains trucs et ils étaient impression­nés. Ce qui ne les empêchait pas de se moquer, mais bon… Parfois, cela venait même des profs. Ils ne rigolaient pas de moi, mais ils pouvaient tout à coup me dire: «Bon, Fanny, fais un effort maintenant!» Mais moi, je ne faisais que ça!

Dans quelles branches aviez-vous des soucis? Toutes. J’ai tenté de me réfugier dans les maths, mais quand nous en sommes venus aux problèmes, c’était retour à la case départ. Il fallait lire les intitulés, les comprendre et plus on avançait dans le programme, plus cela devenait complexe, et moins nous avions de temps pour intégrer les consignes. Pour moi, c’était intenable.

A l’époque, à quel métier vous destiniez-vous? J’étais incapable de me projeter. Je savais que les études n’étaient pas une option pour moi, donc que j’aurais à faire un apprentiss­age. Quelque chose de manuel, pour m’éloigner des cahiers, pour entrer dans la vie réelle. Mais dans quel domaine? Aucune idée. Pour tous les métiers, il faut un papier, un diplôme et cela me bloquait.

Pensiez-vous à devenir sportive profession­nelle? Pas au départ, non. A 12 ans, j’ai fait mon premier skicross. J’ai su immédiatem­ent que ce serait mon sport. Avec les sauts, le côté casse-cou, cela me convenait mieux que le ski alpin. Peu après, le skicross est devenu olympique. Vers mes 15 ans, mon père m’a demandé si je voulais aller aux Jeux, si cela m’intéressai­t. Je lui ai répondu que oui, mais qu’il était marrant, ce n’était pas si facile. Alors il m’a dit de continuer à me faire plaisir sur la neige et qu’il allait voir de son côté ce qu’il était possible d’organiser. Mes parents ont toujours cru en moi.

Aujourd’hui, vous dites que votre dyslexie est devenue une force.

«La dyslexie m’a aussi appris à ne pas tenir compte du regard des autres, à avancer malgré les remarques»

Pourquoi? Parce qu’elle m’a appris à me battre depuis toute petite. Elle m’a contrainte à me surpasser dans tout ce que je fais. Ce sens de l’effort, développé pour apprendre à lire, écrire ou retenir des choses, j’ai pu le convertir dans le sport. Enfant, j’ai dû travailler extrêmemen­t dur et aujourd’hui, je fais la même chose en skicross. La dyslexie m’a aussi appris à ne pas tenir compte du regard des autres, à avancer malgré les remarques. Elle a forgé mon caractère.

A 16 ans, vous arrêtez l’école pour vous consacrer au skicross. Vos parents vous auraient-ils soutenue dans cette voie si vous aviez eu la possibilit­é de faire des études? (Elle réfléchit.) Pour autant que cela ait été ma passion, je pense que oui. Pour les enfants Smith, les choses étaient claires: nous pouvions faire ce que nous voulions pour être heureux, mais nous devions le faire à fond. Mon frère aîné était super-bon en ski mais il a choisi les études, et il est devenu architecte. L’autre jour, il me disait qu’il n’avait peut-être pas osé tenter sa chance en sport. Qu’en tant que grand frère, il se sentait le devoir de faire quelque chose de «sérieux»…

Choisir le sport d’élite, c’est aussi renoncer à une adolescenc­e classique… J’ai clairement eu une vie différente de mes copines. Si tu as envie de faire la fête tous les week-ends, il ne faut pas devenir athlète pro, tu ne seras pas heureuse. Moi, c’est le ski qui m’appelait, et tout ce qui va avec… Négocier les contrats, j’ai tout de suite adoré ça! J’ai tissé des liens forts avec mes premiers partenaire­s, car ils ont vu débarquer une fille de 17 ans qui se prenait en main, et ça les a marqués.

La dyslexie n’était pas un souci dans ce cadre? Pas du tout, car j’allais voir les gens en personne! A l’oral, on ne remarque rien. Dès que je suis devenue sportive profession­nelle, je n’ai plus eu de remarques sur le sujet.

Mais parfois, il y a quand même des lettres à écrire, non? Bien sûr, mais je suis d’accord avec mon père sur le sujet: il vaut mieux un e-mail qui contient des fautes d’orthograph­e qu’un e-mail pas envoyé. Je fais toujours de mon mieux, mais s’il reste des erreurs, tant pis. Ce n’est pas l’essentiel de ce qu’on me demande.

Une carrière de sportive profession­nelle n’est pas éternelle. A 25 ans, pensez-vous déjà à l’après-ski? Pas vraiment. Pour l’instant, j’éprouve toujours le même plaisir en compétitio­n. Je me vois continuer plusieurs années, jusqu’aux Jeux olympiques 2020 en tout cas. Quand le moment d’arrêter viendra, je sais juste que je mettrai autant d’énergie dans ma nouvelle activité que je l’ai fait dans le skicross. Dans quel domaine, ça, je ne sais pas. Mais on trouve toujours, non?

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Fanny Smith: «Si tu as une passion et que tu es prêt à te donner les moyens de réussir, rien n’est perdu.»

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