Ces médecins qui gagnent des millions
SALAIRES DES MÉDECINS Selon la faîtière des caisses Santésuisse, certains spécialistes profitent largement des tarifs à l’acte
SALAIRES Certains médecins spécialistes profitent largement des tarifs à l’acte. Plusieurs cas individuels, qui ont fait l’objet d’un contrôle d’économicité, sont édifiants et révèlent davantage un problème de structure tarifaire à l’acte qu’une «tricherie»
Un radiologue qui accumule 5,2 millions de chiffre d’affaires, un ophtalmologue à 2,5 millions, un orthopédiste à 2 millions. Ces chiffres qui donnent le tournis sont issus de statistiques de Santésuisse. La faîtière des assurances maladie les garde anonymes. Ils font suite à la déclaration, en début d’année, d’un responsable de l’Office fédéral de la santé publique qui affirmait que 140 médecins touchaient un salaire annuel de plus de 1 million de francs à la charge de l’assurance de base. Santésuisse a fait ses calculs et dressé un classement. En tête: les radiologues. Ils sont 44 à dépasser 1,5 million de chiffre d’affaires. Suivent les ophtalmologues et les gastroentérologues. Voilà pour les disciplines les mieux rémunérées. Comme Santésuisse estime qu’il faut retrancher un tiers du chiffre d’affaires pour obtenir le salaire, elle arrive ainsi aux 140 «millionnaires» de la LAMal. Selon l’association professionnelle de médecins FMCH, qui regroupe 21 disciplines médicales pour la plupart dans la chirurgie, ces sommes ne représentent pas des revenus individuels, mais bien des chiffres d’affaires de cabinets réunissant plusieurs spécialistes. La question reste ouverte. Mais même les médecins en conviennent: l’opacité qui entoure leur salaire n’a plus lieu d’être. TarMed, avec son système de tarification à l’acte, est jugé obsolète. Il est également trop généreux dans certains cas, selon Monsieur Prix, qui pense que l’on peut encore économiser près de 300 millions. Piquées au vif, la FMCH et Santésuisse ont pris l’initiative de renégocier les tarifs ambulatoires. Elles ont signé une nouvelle convention, qui marque un changement de paradigme dans le dossier des coûts de la santé.
«Il s’agit du chiffre d’affaires d’un cabinet de médecins, et non d’un seul praticien»
MARKUS TRUTMANN, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FMCH
C’était lors de l’émission Infrarouge du 7 février dernier. Ce soir-là, Pascal Strupler, le directeur de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), lâche une petite bombe: «Oui, il y a 140 médecins qui touchent un salaire de plus de 1 million de francs par an à la charge de l’assurance de base.» Les associations professionnelles des médecins n’y croient pas: elles réclament des preuves et des noms.
Des preuves formelles, il n’y en aura pas. Santésuisse n’a de données qu’à propos des chiffres d’affaires des médecins spécialistes, qu’elle tient à garder anonymes. Mais ces chiffres donnent tout de même le tournis. En tête de ces seigneurs de la profession: les radiologues. Ils sont 44 à dépasser 1,5 million de chiffre d’affaires. Suivent les ophtalmologues (26) et les gastroentérologues (17). Voilà pour les disciplines les mieux rémunérées. Comme Santésuisse estime qu’il faut retrancher un tiers du chiffre d’affaires pour obtenir le salaire, elle arrive ainsi aux 140 «millionnaires» de la LAMal.
Des statistiques incomplètes, mais révélatrices
Certes, ces statistiques sont incomplètes. Il n’empêche. Certains cas individuels, qui ont fait l’objet d’un contrôle d’économicité, sont édifiants et révèlent davantage un problème de structure tarifaire à l’acte que de «tricherie». On y trouve un radiologue atteignant 5,2 millions de chiffre d’affaires, un ophtalmologue à 2,5 millions et même un orthopédiste à 2 millions. Théoriquement, tous ces spécialistes disposent d’un numéro RCC (Registre des codes-créanciers) qui est individuel. S’ils travaillent avec des collègues, ils doivent l’annoncer, ce qu’ils n’ont pas fait.
Selon la FMCH, qui regroupe 21 disciplines de la médecine pour la plupart dans la chirurgie, c’est ici que le bât blesse. «Je suppose que dans la plupart des cas extrêmes, il s’agit du chiffre d’affaires d’un cabinet de médecins, et non d’un seul praticien», assure Markus Trutmann, son secrétaire général. D’après ses calculs, un médecin devrait travailler 8300 heures, soit 23 heures par jour sans vacances, ni congés, ni même sommeil, pour gagner 1 million par an. «Même un conseiller fédéral très occupé devrait se rendre compte que c’est impossible», ironise la FMCH dans une lettre ouverte à Alain Berset.
La question reste sur la table, mais tout le monde reconnaît un mérite à cette polémique: l’opacité qui entoure les salaires des médecins n’a plus lieu d’être. Ce que confirme Felix Sch- neuwly, responsable des affaires publiques chez Comparis.ch. «Avec ses 4600 positions, le TarMed est un monstre de bureaucratie, opaque de surcroît. Il offre une trop grande marge de manoeuvre aux fournisseurs de soins. De plus, les caisses maladie n’ont aucun moyen de contrôler si les prestations facturées ont effectivement été prodiguées.»
En déclenchant une forme de grève, les chirurgiens genevois de la main ont accusé Alain Berset d’y être allé trop fort dans sa révision du tarif des prestations ambulatoires (TarMed). En fait, les statistiques récemment dévoilées posent la question inverse: même après sa révision, ce TarMed n’est-il pas encore trop généreux?
Le surveillant des prix, Stefan Meierhans, ne le cache pas. Il a soutenu une révision du TarMed visant des économies de 760 millions, et non seulement de 470 millions comme Alain Berset l’a finalement concédé. Ainsi, les temps d’opération revus à
Ces statistiques indiquent le chiffre d’affaires porté à la charge de la seule assurance maladie de base, n’incluant pas les autres assurances sociales, ni les assurances complémentaires ou privées. Pour obtenir le salaire des médecins spécialistes, la faîtière des caisses Santésuisse estime qu’il faut retrancher 30%, la Fédération des médecins la baisse ont été calculés «prudemment» par l’OFSP, de manière à éviter des recours: de 56 à 22 minutes pour l’opération de la cataracte et de 33 à 25 minutes pour une coloscopie. «Mais en principe, ces deux interventions peuvent être faites plus rapidement encore, déclare Christophe Kaempf, porte-parole de Santésuisse. Pour certaines prestations, le TarMed reste généreux avec le temps qu’il permet de facturer.» Ce n’est pas tout: «Les médecins peuvent aussi arrondir (FMH) 70%. Certaines données livrent des ordres de grandeur qui ne trompent pas: 35% des radiologues dépassent un chiffre d’affaires de 1,5 million, tandis que les gastroentérologues sont 38% à franchir la barre du million.
Les dernières statistiques de la FMH sur les salaires de ses membres se basent sur des données vers le haut le temps de la consultation par tranche de cinq minutes. Ainsi, une consultation de six minutes peut être facturée dix minutes, soit une différence de 40%», constate encore Santésuisse.
A toute chose malheur est bon. Piqués au vif par le diktat d’Alain Berset, les partenaires tarifaires ont décidé de reprendre l’initiative. Le 9 février dernier, deux d’entre eux, la FMCH et Santésuisse, ont signé une convention portant sur un tarif forfaitaire ambulatoire. Les ophtalmologues seront les premiers à bénéficier de ces forfaits, qui incluent les prestations pré- et postopératoires. Ainsi, l’opération de la cataracte coûtera 2011 francs.
Des économies en perspective
La signature de cette convention marque un changement de paradigme qui va dans la bonne direction. L’actuel tarif TarMed «à l’acte», par les mauvaises incitations qu’il entraîne, est l’un des facteurs principaux de la croissance excessive des coûts dans l’ambulatoire. Or, cette convention devrait déboucher sur une simplification de la facturation, réduisant les frais administratifs et les litiges. «Si nous parvenons à trouver un accord pour les 21 disciplines de médecine de notre association, nous devrions réaliser des économies du même ordre de grandeur que celles qu’a imposées Alain Berset cette année», estime Markus Trutmann. Soit entre 400 et 500 millions par an en raison des coupes opérées dans TarMed. «Cela devrait permettre d’éviter que notre secteur ne provoque une hausse des primes», ajoute-t-il. Cet espoir est encore ténu, mais il existe.
n de 2009. A l’époque, le revenu médian des médecins s’élevait à 190 000 francs. Les ophtalmologues, radiologues et gastroentérologues étaient déjà les mieux rémunérés (environ 350 000 francs), tandis que les «smicards» de la profession étaient les psychiatres pour enfants (107 000 francs).