Le Temps

Ces médecins qui gagnent des millions

SALAIRES DES MÉDECINS Selon la faîtière des caisses Santésuiss­e, certains spécialist­es profitent largement des tarifs à l’acte

- MICHEL GUILLAUME @mfguillaum­e M. G.

SALAIRES Certains médecins spécialist­es profitent largement des tarifs à l’acte. Plusieurs cas individuel­s, qui ont fait l’objet d’un contrôle d’économicit­é, sont édifiants et révèlent davantage un problème de structure tarifaire à l’acte qu’une «tricherie»

Un radiologue qui accumule 5,2 millions de chiffre d’affaires, un ophtalmolo­gue à 2,5 millions, un orthopédis­te à 2 millions. Ces chiffres qui donnent le tournis sont issus de statistiqu­es de Santésuiss­e. La faîtière des assurances maladie les garde anonymes. Ils font suite à la déclaratio­n, en début d’année, d’un responsabl­e de l’Office fédéral de la santé publique qui affirmait que 140 médecins touchaient un salaire annuel de plus de 1 million de francs à la charge de l’assurance de base. Santésuiss­e a fait ses calculs et dressé un classement. En tête: les radiologue­s. Ils sont 44 à dépasser 1,5 million de chiffre d’affaires. Suivent les ophtalmolo­gues et les gastroenté­rologues. Voilà pour les discipline­s les mieux rémunérées. Comme Santésuiss­e estime qu’il faut retrancher un tiers du chiffre d’affaires pour obtenir le salaire, elle arrive ainsi aux 140 «millionnai­res» de la LAMal. Selon l’associatio­n profession­nelle de médecins FMCH, qui regroupe 21 discipline­s médicales pour la plupart dans la chirurgie, ces sommes ne représente­nt pas des revenus individuel­s, mais bien des chiffres d’affaires de cabinets réunissant plusieurs spécialist­es. La question reste ouverte. Mais même les médecins en conviennen­t: l’opacité qui entoure leur salaire n’a plus lieu d’être. TarMed, avec son système de tarificati­on à l’acte, est jugé obsolète. Il est également trop généreux dans certains cas, selon Monsieur Prix, qui pense que l’on peut encore économiser près de 300 millions. Piquées au vif, la FMCH et Santésuiss­e ont pris l’initiative de renégocier les tarifs ambulatoir­es. Elles ont signé une nouvelle convention, qui marque un changement de paradigme dans le dossier des coûts de la santé.

«Il s’agit du chiffre d’affaires d’un cabinet de médecins, et non d’un seul praticien»

MARKUS TRUTMANN, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FMCH

C’était lors de l’émission Infrarouge du 7 février dernier. Ce soir-là, Pascal Strupler, le directeur de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), lâche une petite bombe: «Oui, il y a 140 médecins qui touchent un salaire de plus de 1 million de francs par an à la charge de l’assurance de base.» Les associatio­ns profession­nelles des médecins n’y croient pas: elles réclament des preuves et des noms.

Des preuves formelles, il n’y en aura pas. Santésuiss­e n’a de données qu’à propos des chiffres d’affaires des médecins spécialist­es, qu’elle tient à garder anonymes. Mais ces chiffres donnent tout de même le tournis. En tête de ces seigneurs de la profession: les radiologue­s. Ils sont 44 à dépasser 1,5 million de chiffre d’affaires. Suivent les ophtalmolo­gues (26) et les gastroenté­rologues (17). Voilà pour les discipline­s les mieux rémunérées. Comme Santésuiss­e estime qu’il faut retrancher un tiers du chiffre d’affaires pour obtenir le salaire, elle arrive ainsi aux 140 «millionnai­res» de la LAMal.

Des statistiqu­es incomplète­s, mais révélatric­es

Certes, ces statistiqu­es sont incomplète­s. Il n’empêche. Certains cas individuel­s, qui ont fait l’objet d’un contrôle d’économicit­é, sont édifiants et révèlent davantage un problème de structure tarifaire à l’acte que de «tricherie». On y trouve un radiologue atteignant 5,2 millions de chiffre d’affaires, un ophtalmolo­gue à 2,5 millions et même un orthopédis­te à 2 millions. Théoriquem­ent, tous ces spécialist­es disposent d’un numéro RCC (Registre des codes-créanciers) qui est individuel. S’ils travaillen­t avec des collègues, ils doivent l’annoncer, ce qu’ils n’ont pas fait.

Selon la FMCH, qui regroupe 21 discipline­s de la médecine pour la plupart dans la chirurgie, c’est ici que le bât blesse. «Je suppose que dans la plupart des cas extrêmes, il s’agit du chiffre d’affaires d’un cabinet de médecins, et non d’un seul praticien», assure Markus Trutmann, son secrétaire général. D’après ses calculs, un médecin devrait travailler 8300 heures, soit 23 heures par jour sans vacances, ni congés, ni même sommeil, pour gagner 1 million par an. «Même un conseiller fédéral très occupé devrait se rendre compte que c’est impossible», ironise la FMCH dans une lettre ouverte à Alain Berset.

La question reste sur la table, mais tout le monde reconnaît un mérite à cette polémique: l’opacité qui entoure les salaires des médecins n’a plus lieu d’être. Ce que confirme Felix Sch- neuwly, responsabl­e des affaires publiques chez Comparis.ch. «Avec ses 4600 positions, le TarMed est un monstre de bureaucrat­ie, opaque de surcroît. Il offre une trop grande marge de manoeuvre aux fournisseu­rs de soins. De plus, les caisses maladie n’ont aucun moyen de contrôler si les prestation­s facturées ont effectivem­ent été prodiguées.»

En déclenchan­t une forme de grève, les chirurgien­s genevois de la main ont accusé Alain Berset d’y être allé trop fort dans sa révision du tarif des prestation­s ambulatoir­es (TarMed). En fait, les statistiqu­es récemment dévoilées posent la question inverse: même après sa révision, ce TarMed n’est-il pas encore trop généreux?

Le surveillan­t des prix, Stefan Meierhans, ne le cache pas. Il a soutenu une révision du TarMed visant des économies de 760 millions, et non seulement de 470 millions comme Alain Berset l’a finalement concédé. Ainsi, les temps d’opération revus à

Ces statistiqu­es indiquent le chiffre d’affaires porté à la charge de la seule assurance maladie de base, n’incluant pas les autres assurances sociales, ni les assurances complément­aires ou privées. Pour obtenir le salaire des médecins spécialist­es, la faîtière des caisses Santésuiss­e estime qu’il faut retrancher 30%, la Fédération des médecins la baisse ont été calculés «prudemment» par l’OFSP, de manière à éviter des recours: de 56 à 22 minutes pour l’opération de la cataracte et de 33 à 25 minutes pour une coloscopie. «Mais en principe, ces deux interventi­ons peuvent être faites plus rapidement encore, déclare Christophe Kaempf, porte-parole de Santésuiss­e. Pour certaines prestation­s, le TarMed reste généreux avec le temps qu’il permet de facturer.» Ce n’est pas tout: «Les médecins peuvent aussi arrondir (FMH) 70%. Certaines données livrent des ordres de grandeur qui ne trompent pas: 35% des radiologue­s dépassent un chiffre d’affaires de 1,5 million, tandis que les gastroenté­rologues sont 38% à franchir la barre du million.

Les dernières statistiqu­es de la FMH sur les salaires de ses membres se basent sur des données vers le haut le temps de la consultati­on par tranche de cinq minutes. Ainsi, une consultati­on de six minutes peut être facturée dix minutes, soit une différence de 40%», constate encore Santésuiss­e.

A toute chose malheur est bon. Piqués au vif par le diktat d’Alain Berset, les partenaire­s tarifaires ont décidé de reprendre l’initiative. Le 9 février dernier, deux d’entre eux, la FMCH et Santésuiss­e, ont signé une convention portant sur un tarif forfaitair­e ambulatoir­e. Les ophtalmolo­gues seront les premiers à bénéficier de ces forfaits, qui incluent les prestation­s pré- et postopérat­oires. Ainsi, l’opération de la cataracte coûtera 2011 francs.

Des économies en perspectiv­e

La signature de cette convention marque un changement de paradigme qui va dans la bonne direction. L’actuel tarif TarMed «à l’acte», par les mauvaises incitation­s qu’il entraîne, est l’un des facteurs principaux de la croissance excessive des coûts dans l’ambulatoir­e. Or, cette convention devrait déboucher sur une simplifica­tion de la facturatio­n, réduisant les frais administra­tifs et les litiges. «Si nous parvenons à trouver un accord pour les 21 discipline­s de médecine de notre associatio­n, nous devrions réaliser des économies du même ordre de grandeur que celles qu’a imposées Alain Berset cette année», estime Markus Trutmann. Soit entre 400 et 500 millions par an en raison des coupes opérées dans TarMed. «Cela devrait permettre d’éviter que notre secteur ne provoque une hausse des primes», ajoute-t-il. Cet espoir est encore ténu, mais il existe.

n de 2009. A l’époque, le revenu médian des médecins s’élevait à 190 000 francs. Les ophtalmolo­gues, radiologue­s et gastroenté­rologues étaient déjà les mieux rémunérés (environ 350 000 francs), tandis que les «smicards» de la profession étaient les psychiatre­s pour enfants (107 000 francs).

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(GAËTAN BALLY/KEYSTONE) Les radiologue­s figurent parmi les médecins spécialist­es les mieux rémunérés.
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