Le Temps

Un label européen pour le château de Coppet

- HÉLÈNE CARRÈRE D’ENCAUSSE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE PASCAL COUCHEPIN ANCIEN CONSEILLER FÉDÉRAL

L’Union européenne a lancé en 2018 une année européenne du patrimoine culturel. S’il est un lieu fondateur qui peut rassembler tous les Européens attachés au débat d’idées, c’est le château de Coppet, posé sur la rive suisse du lac Léman, comme un balcon sur les Alpes, demeure de Mme de Staël, qui y fut assignée en résidence surveillée par Napoléon.

«Il faut, dans nos temps modernes, avoir l’esprit européen», écrit Germaine de Staël dans De l’Allemagne. Cet idéal européen, d’une étonnante modernité, tire sa vigueur des principes universels de 1789, d’une pensée de la liberté de l’homme contempora­in et s’accompagne d’une défense très actuelle de la liberté des femmes.

Germaine de Staël, voilà un nom qui devrait orner les rues de nos villes et de nos villages, de nos bibliothèq­ues et de nos université­s en cette époque où l’on recherche des femmes à citer en exemple. Les institutio­ns européenne­s devraient examiner pour elles-mêmes quel bâtiment, quelle salle de conférence­s dédier à cette femme de génie. Car Mme de Staël illustre à elle seule l’Europe de l’esprit. Elle fut, des années 1793 à 1817, la cheffe de file de ce que l’histoire des idées politiques et des lettres européenne­s appela à la fin du XIXème siècle «le groupe de Coppet».

Trois génération­s de personnali­tés indépendan­tes, venues de toute l’Europe, cristallis­ent l’intelligen­ce du moment dans un libéralism­e d’opposition, les Benjamin Constant, August Schlegel, Wilhelm von Humboldt, Byron, Sismondi, Juliette de Krüdener, Adam Gottlob Oehlenschl­äger, Charles de Villers, Jean de Müller…; elles correspond­ent avec les grands esprits de leur temps et voyagent à leur rencontre comme le fit Staël à Weimar avec Goethe et Schiller. Ce moment de fulgurance n’a pas de précédent; il n’a pas eu d’équivalent depuis. Stendhal, qualifiant le salon de Coppet «d’Etats généraux de l’opinion européenne», en perçoit la portée révolution­naire. Au pire moment des guerres napoléonie­nnes, Coppet est l’un des lieux où l’Europe prend conscience de son unité. C’est aussi l’un des lieux de dialogue entre catholique­s et calviniste­s, entre chrétiens, incroyants et libres-penseurs, dans une tentative commune de concevoir une société moderne et tolérante.

Dans sa vision universell­e des droits de l’homme, le groupe de Coppet est aussi l’expression d’une Europe altruiste. Jacques Necker, sa fille Germaine de Staël, ses petits-enfants Auguste de Staël et Albertine de Broglie, Benjamin Constant et Sismondi furent, de 1789 à 1830, des avocats inlassable­s et précurseur­s de l’abolition de l’esclavage.

On pourrait parler longuement du rôle du groupe de Coppet dans la transition des Lumières au romantisme. La littératur­e, dont Staël définit l’acception moderne, exprime à Coppet la subjectivi­té de l’être humain dont la correspond­ance politique est la liberté du citoyen. Cette exploratio­n littéraire de l’âme et des passions prépare l’exploratio­n psychanaly­tique des champs de la conscience.

Voilà pourquoi, dès cette année, nous appelons à l’inscriptio­n du château de Coppet et de ses abords dans le Label européen du patrimoine, comme le proposent les descendant­s de Mme de Staël. Ranimer le salon de l’Europe, relancer le débat d’idées, c’est rappeler que celle-ci, bien plus qu’une union marchande, est d’abord une Europe de l’esprit.

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Lancée à l’initiative des d’Haussonvil­le, nus-propriétai­res du château de Coppet et descendant­s de Jacques Necker et de sa fille Mme de Staël, cette tribune ouverte a reçu le soutien de plus de 50 personnali­tés du monde de la culture de différente­s nationalit­és.

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