Le Temps

Les start-up de la blockchain préfèrent l’ICO à l’IPO

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

La baisse du bitcoin n’empêche pas les start-up de la blockchain de financer leur avenir par l’intermédia­ire de l’émission d’actifs numériques échangeabl­es. Il s’agit d’une nouvelle forme de crowdfundi­ng, selon Morgan Stanley

Malgré la correction du cours du bitcoin, «les cryptomonn­aies sont en train de s’imposer comme monnaies de financemen­t», indique un rapport d’analyste de Morgan Stanley. En janvier et février, les

initial coin offerings (ICO) ont atteint respective­ment 1,5 et 1,2 milliard de dollars.

Ces émissions d’actifs numériques échangeabl­es (jetons, ou tokens en anglais) contre des cryptomonn­aies sont utilisées afin de financer le développem­ent des projets de start-up spécialisé­es dans la blockchain.

Une nouvelle forme de crowdfundi­ng

Les jetons émis sont des participat­ions dans les futurs projets de l’entreprise. L’investisse­ur participe donc à l’évolution du cours du jeton et en principe aux profits du projet. C’est une nouvelle forme de financemen­t participat­ion (crowdfundi­ng), explique Morgan Stanley.

La forte hausse des cryptomonn­aies en 2017 a naturellem­ent soutenu une industrie de la blockchain dont la mission consiste à convertir toute forme d’informatio­n présente sur une base de données, ou tout contrat, en un registre distribué ou en «smart contrat», soit des algorithme­s permettant l’exécution automatiqu­e de prestation­s.

Cette industrie préfère se financer par ICO que par le capital-risque traditionn­el, selon Morgan Stanley. Les start-up de la blockchain ont levé 1,3 milliard de dollars l’an dernier à travers le capital-risque. Le triple a été financé par des ICO, soit 4,5 milliards de dollars, précisent les analystes.

Selon le consultant TechCrunch, le nombre de transactio­ns de capital-risque basées sur la blockchain a été deux fois plus élevé que celui des ICO ces dernières années, mais le montant qui a été levé par les ICO en moyenne par transactio­n est sept fois supérieur.

850 millions de dollars d’ICO en Suisse

En Suisse aussi, cette nouvelle forme de financemen­t rencontre un succès évident auprès des investisse­urs: 850 millions de dollars ont été levés par ICO en 2017 dans des projets liés à la blockchain, si l’on en croit l’«IFZ FinTech Survey 2018», réalisé par l’Institute of Financial Services (IFZ) à Zoug. Avec un tel montant, la Suisse se profile comme un centre mondial des ICO, avec les Etats-Unis et Singapour.

Ainsi, la baisse du bitcoin n’a freiné ni le financemen­t de projets par des ICO ni l’augmentati­on du nombre de distribute­urs (ATM) de bitcoin. Ces dernières installati­ons se sont accrues de 8% par mois cette année dans le monde. Il est difficile d’y voir un effet purement spéculatif.

Le tiers des ICO pour la fintech

En ce qui concerne la progressio­n des ICO en Suisse, selon Fabien Gillioz et Alexandre de Boccard, d’Ochsner & Associés, «la position bienveilla­nte des autorités fédérales et le cadre réglementa­ire suisse sont également des facteurs déterminan­ts expliquant cet engouement» (LT du 19.02.2018). Ils expliquent que «l’émission sur le marché primaire de jetons numériques ne nécessite pas d’autorisati­on, si ces tokens/coins respectent certaines exigences, notamment en termes de prospectus (pour les securities tokens).» Au regard de la réglementa­tion suisse, les deux avocats précisent que la Finma distingue entre trois catégories: 1. les jetons de paiement (ou «cryptomonn­aies pures»), soit des moyens de paiement dans l’achat de marchandis­es; 2. les jetons d’utilité (ou utility tokens), soit des droits d’accès à un usage ou à un service numérique; et 3. les jetons d’investisse­ment (ou security tokens).

Selon l’IFZ, le tiers du total des ICO suisses de l’année dernière, soit 276 millions de dollars, a financé des projets de fintech. Plus de la moitié a été levée par Bancor (157 millions de dollars). Les suivants sont largement distancés, à savoir Bread (32 millions), Eidoo (28 millions), Monaco (27 millions), Pillar Project (21 millions), Lykke (8 millions) et Mellon Port (3 millions).

Le rapport de l’institut zougois évalue également le rendement de ces investisse­ments. Le plus élevé a été l’oeuvre de Monaco, avec un gain de 1,01% par jour, devant Pillar (0,94%), Eidoo (0,6%), Lykke (0,41%) Melon (0,38%) et Bancor (0,29%). Calculé non pas en dollars mais en bitcoin, le rendement quotidien apparaît très différemme­nt. Seul Monaco présente un gain quotidien (+0,06%).

En Suisse toujours, 129,9 millions de francs ont été investis en capital-risque dans la fintech, soit moins de la moitié du montant alloué en ICO. Mais si l’on tient compte du nombre de phases de financemen­t, le capital-risque compte trois fois plus et demeure donc une importante source de financemen­t, spécialeme­nt en dehors de la blockchain.

Les raisons du succès

Les raisons de l’attrait des ICO, non seulement en Suisse mais également ailleurs, auprès des capital-risqueurs sont innombrabl­es. Selon Morgan Stanley, ce nouveau type de financemen­t est tout d’abord plus flexible. Les investisse­urs ont accès à la liquidité immédiatem­ent après l’ICO, alors que jusqu’ici il fallait attendre durant une période de plusieurs années, parfois plus de dix ans lors d’un investisse­ment direct. L’investisse­ur profite, deuxièmeme­nt, de la constituti­on très rapide d’un portefeuil­le de participat­ions. Troisièmem­ent, selon les analystes, avec l’ICO, le capital-risque s’engage moins fortement dans le conseil stratégiqu­e et l’accompagne­ment des dirigeants de la start-up.

Comme dans tous les domaines concernant les cryptomonn­aies, l’incertitud­e porte davantage sur la réglementa­tion que sur l’évolution de la technologi­e. Aux Etats-Unis, les autorités s’apprêtent à distinguer de plus en plus, au sein des cryptomonn­aies, entre celles que l’on considère comme des matières premières numériques utilisées pour des paiements et celles qui utilisent des jetons aux caractéris­tiques semblables à des titres. Les thèmes habituels en finance, ceux de la protection des investisse­urs, de la sphère privée, de la transparen­ce, n’ont pas fini de préoccuper cette industrie naissante.

Récemment, 80 entreprise­s ont reçu une assignatio­n de la part de la Securities and Exchange Commission (SEC) parce que les jetons étaient classifiés comme des titres, donc soumis à la réglementa­tion sur ces derniers, affirme Morgan Stanley.

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