Les start-up de la blockchain préfèrent l’ICO à l’IPO
La baisse du bitcoin n’empêche pas les start-up de la blockchain de financer leur avenir par l’intermédiaire de l’émission d’actifs numériques échangeables. Il s’agit d’une nouvelle forme de crowdfunding, selon Morgan Stanley
Malgré la correction du cours du bitcoin, «les cryptomonnaies sont en train de s’imposer comme monnaies de financement», indique un rapport d’analyste de Morgan Stanley. En janvier et février, les
initial coin offerings (ICO) ont atteint respectivement 1,5 et 1,2 milliard de dollars.
Ces émissions d’actifs numériques échangeables (jetons, ou tokens en anglais) contre des cryptomonnaies sont utilisées afin de financer le développement des projets de start-up spécialisées dans la blockchain.
Une nouvelle forme de crowdfunding
Les jetons émis sont des participations dans les futurs projets de l’entreprise. L’investisseur participe donc à l’évolution du cours du jeton et en principe aux profits du projet. C’est une nouvelle forme de financement participation (crowdfunding), explique Morgan Stanley.
La forte hausse des cryptomonnaies en 2017 a naturellement soutenu une industrie de la blockchain dont la mission consiste à convertir toute forme d’information présente sur une base de données, ou tout contrat, en un registre distribué ou en «smart contrat», soit des algorithmes permettant l’exécution automatique de prestations.
Cette industrie préfère se financer par ICO que par le capital-risque traditionnel, selon Morgan Stanley. Les start-up de la blockchain ont levé 1,3 milliard de dollars l’an dernier à travers le capital-risque. Le triple a été financé par des ICO, soit 4,5 milliards de dollars, précisent les analystes.
Selon le consultant TechCrunch, le nombre de transactions de capital-risque basées sur la blockchain a été deux fois plus élevé que celui des ICO ces dernières années, mais le montant qui a été levé par les ICO en moyenne par transaction est sept fois supérieur.
850 millions de dollars d’ICO en Suisse
En Suisse aussi, cette nouvelle forme de financement rencontre un succès évident auprès des investisseurs: 850 millions de dollars ont été levés par ICO en 2017 dans des projets liés à la blockchain, si l’on en croit l’«IFZ FinTech Survey 2018», réalisé par l’Institute of Financial Services (IFZ) à Zoug. Avec un tel montant, la Suisse se profile comme un centre mondial des ICO, avec les Etats-Unis et Singapour.
Ainsi, la baisse du bitcoin n’a freiné ni le financement de projets par des ICO ni l’augmentation du nombre de distributeurs (ATM) de bitcoin. Ces dernières installations se sont accrues de 8% par mois cette année dans le monde. Il est difficile d’y voir un effet purement spéculatif.
Le tiers des ICO pour la fintech
En ce qui concerne la progression des ICO en Suisse, selon Fabien Gillioz et Alexandre de Boccard, d’Ochsner & Associés, «la position bienveillante des autorités fédérales et le cadre réglementaire suisse sont également des facteurs déterminants expliquant cet engouement» (LT du 19.02.2018). Ils expliquent que «l’émission sur le marché primaire de jetons numériques ne nécessite pas d’autorisation, si ces tokens/coins respectent certaines exigences, notamment en termes de prospectus (pour les securities tokens).» Au regard de la réglementation suisse, les deux avocats précisent que la Finma distingue entre trois catégories: 1. les jetons de paiement (ou «cryptomonnaies pures»), soit des moyens de paiement dans l’achat de marchandises; 2. les jetons d’utilité (ou utility tokens), soit des droits d’accès à un usage ou à un service numérique; et 3. les jetons d’investissement (ou security tokens).
Selon l’IFZ, le tiers du total des ICO suisses de l’année dernière, soit 276 millions de dollars, a financé des projets de fintech. Plus de la moitié a été levée par Bancor (157 millions de dollars). Les suivants sont largement distancés, à savoir Bread (32 millions), Eidoo (28 millions), Monaco (27 millions), Pillar Project (21 millions), Lykke (8 millions) et Mellon Port (3 millions).
Le rapport de l’institut zougois évalue également le rendement de ces investissements. Le plus élevé a été l’oeuvre de Monaco, avec un gain de 1,01% par jour, devant Pillar (0,94%), Eidoo (0,6%), Lykke (0,41%) Melon (0,38%) et Bancor (0,29%). Calculé non pas en dollars mais en bitcoin, le rendement quotidien apparaît très différemment. Seul Monaco présente un gain quotidien (+0,06%).
En Suisse toujours, 129,9 millions de francs ont été investis en capital-risque dans la fintech, soit moins de la moitié du montant alloué en ICO. Mais si l’on tient compte du nombre de phases de financement, le capital-risque compte trois fois plus et demeure donc une importante source de financement, spécialement en dehors de la blockchain.
Les raisons du succès
Les raisons de l’attrait des ICO, non seulement en Suisse mais également ailleurs, auprès des capital-risqueurs sont innombrables. Selon Morgan Stanley, ce nouveau type de financement est tout d’abord plus flexible. Les investisseurs ont accès à la liquidité immédiatement après l’ICO, alors que jusqu’ici il fallait attendre durant une période de plusieurs années, parfois plus de dix ans lors d’un investissement direct. L’investisseur profite, deuxièmement, de la constitution très rapide d’un portefeuille de participations. Troisièmement, selon les analystes, avec l’ICO, le capital-risque s’engage moins fortement dans le conseil stratégique et l’accompagnement des dirigeants de la start-up.
Comme dans tous les domaines concernant les cryptomonnaies, l’incertitude porte davantage sur la réglementation que sur l’évolution de la technologie. Aux Etats-Unis, les autorités s’apprêtent à distinguer de plus en plus, au sein des cryptomonnaies, entre celles que l’on considère comme des matières premières numériques utilisées pour des paiements et celles qui utilisent des jetons aux caractéristiques semblables à des titres. Les thèmes habituels en finance, ceux de la protection des investisseurs, de la sphère privée, de la transparence, n’ont pas fini de préoccuper cette industrie naissante.
Récemment, 80 entreprises ont reçu une assignation de la part de la Securities and Exchange Commission (SEC) parce que les jetons étaient classifiés comme des titres, donc soumis à la réglementation sur ces derniers, affirme Morgan Stanley.