Le Temps

Manger moins de viande: un plaidoyer contre les dérives productivi­stes

- CARLO PETRINI PRÉSIDENT DE SLOW FOOD INTERNATIO­NAL JOSEF ZISYADIS PRÉSIDENT DE SLOW FOOD SUISSE

L’année 2018 commence par un double signal. La famine menace à nouveau presque un milliard d’humains.

Nous ne pourrons nourrir huit et bientôt dix milliards d’humains que si nous choisisson­s d’avancer vers une alimentati­on bonne, saine et juste, ce qui suppose déjà de nous prémunir de deux dangers relatifs à notre alimentati­on carnée. Le premier danger serait de nous laisser imposer une alimentati­on toujours plus carnée, le second danger serait d’accepter les viandes artificiel­les issues des biotechnol­ogies. Nous refusons ces deux aspects d’un même productivi­sme. Nous faisons, au contraire, le pari qu’il est possible de manger certes moins de viandes mais meilleures, car garantissa­nt le bien-être animal, de bonnes conditions de travail aux éleveurs, aux salariés des abattoirs, et le maximum de plaisir, de partage et de santé aux mangeurs.

La viande représente environ 50% de notre impact sur l’environnem­ent au titre de notre alimentati­on alors que son apport en nutriments est infiniment plus faible: le taux de transforma­tion des calories végétales en calories animales est de 4 pour 1 pour la production de porc et de poulet et de 11 pour 1 pour le boeuf et le mouton. Toutes les viandes n’ont pas le même bilan carbone: il faudrait au regard de ce seul critère préférer le poulet au porc, le porc au mouton, le mouton au boeuf, le boeuf au veau. Le choix des viandes les moins nocives n’est, cependant, pas aussi simple au regard d’autres critères. Il faudrait, par exemple, préférer la viande de veau et de boeuf au porc et à la volaille, car ces derniers, omnivores, sont des concurrent­s directs des humains alors que les ruminants, grâce à leur système de digestion, transforme­nt des aliments grossiers à base d’herbe en protéines utilisable­s par les humains, et cela sur des surfaces (plateaux montagneux, plaines inondables) où il serait impossible de réaliser du maraîchage ou des céréales. La viande de bovin est, en outre, beaucoup moins chargée en résidus de pesticides et de produits chimiques que les autres. La production de 1 kilo de viande de veau rejette, cependant, la même quantité de gaz à effet de serre qu’un trajet automobile de 220 kilomètres, contre 30 km pour 1 kilo de porc. Pour une même surface, une alimentati­on végétale nourrit 30 personnes, une alimentati­on à base de viande, oeufs, lait cinq à dix personnes, et, si ce repas comprend surtout de la viande rouge, deux à trois personnes. Nous ne devons pas oublier, cependant, les services indispensa­bles que les animaux d’élevage rendent en matière d’aménagemen­t des territoire­s, mais surtout de qualité des sols. Sans élevage, nous serions acculés à une fuite en avant vers toujours plus d’industrial­isation et d’artificial­isation agricoles.

L’autre grand danger est l’invention d’une agricultur­e sans élevage avec le développem­ent de substituts industriel­s aux production­s animales, qualifiés d’élevage «biotech». Ces premières viandes artificiel­les pourraient être introduite­s sur le marché sous forme de carpaccio avant d’être commercial­isées, dans dix ans, sous forme de morceaux produits in vitro. Cette solution présentée comme miraculeus­e ne va pas sans menaces: produire de la viande artificiel­le entraînera­it des coûts exorbitant­s, nécessiter­ait d’énormes quantités d’hormones pour favoriser la croissance et d’antibiotiq­ues pour éviter les contaminat­ions. Depuis le début du XXIe siècle, on ne compte plus cependant les brevets déposés pour produire de la viande soit par clonage soit en cultivant en laboratoir­e des cellules musculaire­s de poulet, de boeuf ou de porc, comme on le pratique, déjà, pour fabriquer de la fausse bière ou des faux yaourts. Les promoteurs de cette agricultur­e sans élevage se recrutent au sein des grandes firmes. La Fondation Bill Gates soutient ainsi Beyond Meat et Hampton Creek Foods, qui proposent, déjà, des ersatz de poulet sans poulet, de boeuf sans boeuf, des oeufs qui n’en sont pas, etc.

L’alternativ­e à ces deux dérives productivi­stes est bien d’inventer un nouveau mariage entre les humains et les animaux, les premiers donnant de bonnes conditions d’élevage et les seconds offrant leur viande, dans le respect de la chaîne alimentair­e.

Produire de la viande artificiel­le entraînera­it des coûts exorbitant­s et nécessiter­ait d’énormes quantités d’hormones pour favoriser la croissance

JEAN ZIEGLER ANCIEN RAPPORTEUR SPÉCIAL AUPRÈS DE L’ONU SUR LA QUESTION DU DROIT À L’ALIMENTATI­ON DANS LE MONDE

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PAUL ARIÈS POLITOLOGU­E
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