Le Temps

Trump inébranlab­le face aux scandales sexuels

Accusé d’avoir eu des relations extraconju­gales et des gestes déplacés envers des femmes, le président américain paraît néanmoins relativeme­nt épargné par la polémique. Décryptage d’un paradoxe

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried)

Ce ne sont pas moins de 19 femmes, dont des actrices pornos et d’anciennes Miss, qui l’accusent de contrainte­s ou de vouloir les réduire au silence pour taire une liaison. Dans cette Amérique puritaine, où des politicien­s ont dû démissionn­er pour des infidélité­s ou des gestes déplacés, Donald Trump, lui, semble épargné par la vague

#MeToo.

Déjà engluée dans une sorte de chaos permanent, la Maison-Blanche doit faire face à de nouvelles accusation­s: celles de prétendues ex-maîtresses du président américain. La plus visible étant l'ancienne actrice de films X Stormy Daniels, qui a déclaré dimanche soir avoir été menacée par l'entourage du président après avoir couché avec lui en 2006 – ce que Donald Trump dément.

A l'heure du mouvement féministe #MeToo et dans le sillage de l'affaire Weinstein, l'affaire pourrait être grave. Mais Donald Trump, habitué à être accusé d'infidélité­s et de gestes déplacés envers des femmes, paraît intouchabl­e. Le tourbillon médiatique et juridique ne semble pas l'atteindre. Ou si peu. Même des propos comme «je suis une star, je peux faire tout ce que je veux avec les femmes, y compris les attraper par les parties génitales», dévoilés en pleine campagne présidenti­elle, ne l'ont pas fait tomber. Pourquoi?

L'historien Corentin Sellin, passionné de politique américaine, a une explicatio­n. «La relative impunité dont il semble bénéficier face à la vague du mouvement #MeToo s'explique déjà par la chronologi­e. Ses pires comporteme­nts ont été exposés sur la place publique quand il était candidat, bien avant l'affaire Weinstein. Ceux qui l'ont élu se sont donc prononcés en connaissan­ce de cause.»

Il ajoute que la plupart des accusation­s qui visent le président sont des faits qui remontent aux années 1980-1990 et sont donc prescrits. «Donald Trump est aussi protégé par des accords financiers de confidenti­alité qui rendent très difficiles toute exhumation de délits éventuels ou révélation de liaisons consenties.» Son avocat Michael Cohen a même un véritable système de protection pour étouffer les affaires liées à sa vie tumultueus­e. Pressions, chantages: tous les coups sont permis.

«Il a menti, a tenté de m’intimider»

Ces jours, deux femmes font particuliè­rement parler d'elles: Stephanie Clifford, alias Stormy Daniels, star du X, et Karen McDougal, une ex-playmate. La (fausse) blonde Stormy Daniels affirme avoir eu une relation secrète avec Donald Trump en 2006 et 2007, alors qu'il était déjà marié à Melania. Elle aurait reçu 130000 dollars pour ne pas en faire état. Elle a déposé plainte pour casser cette clause de confidenti­alité, et vient de publier les résultats de tests au détecteur de mensonges, en sa faveur.

«Techniquem­ent, je n'ai pas couché avec le président des Etats-Unis il y a douze ans. Il n'y a pas eu de coucherie (hé! hé!) et il n'était qu'une star de téléréalit­é un peu loufoque. […] Mais c'est important pour les gens (de savoir) qu'il a menti, a tenté de m'intimider, a enfreint des lois pour étouffer l'affaire, etc.», a tweeté l'actrice porno mardi dernier.

Scénario similaire du côté de la brune Karen McDougal. Mardi, elle a porté

«Ses comporteme­nts ont été exposés sur la place publique quand il était candidat. Ceux qui ont élu Trump se sont prononcés en connaissan­ce de cause»

CORENTIN SELLIN, HISTORIEN Stormy Daniels. Après avoir révélé qu’elle avait couché avec le président en 2006, l’ancienne actrice de cinéma porno affirme avoir été menacée par le clan Trump.

plainte, à Los Angeles, contre le groupe de presse American Media (AMI), pour demander d'invalider une clause d'exclusivit­é. Elle pensait que son histoire serait publiée. Elle s'est trompée. Le National Enquirer (qui avait déjà couvert les agissement­s de Harvey Weinstein) aurait en fait acheté son témoignage dans l'intention de ne jamais le publier, pour protéger Donald Trump. Elle affirme avoir reçu 150 000 dollars. La moitié aurait été reversée à son avocat, qu'elle accuse d'être lié au clan Trump.

Karen McDougal a livré un témoignage exclusif à un des journalist­es stars de CNN, Anderson Cooper, confession­s qui ont été diffusées jeudi soir. Anderson Cooper a aussi rencontré Stormy Daniels, dont l'interview a été diffusée dimanche soir sur CBS.

Au même moment, une troisième femme, Summer Zervos, refait surface. Cette ex-candidate de The Apprentice, l'émission de téléréalit­é à l'époque présentée par Donald Trump, l'accuse de l'avoir caressée et embrassée de force en 2007. Un cas différent des précédents puisqu'il s'agit cette fois de contrainte.

Les évangélist­es ferment les yeux

Dans ces affaires, la guerre des avocats tourne autour de l'argent. Donald Trump pourrait être accusé d'infraction­s aux lois électorale­s s'il est prouvé que ces versements d'argent avaient pour but d'influencer le scrutin de 2016.

Mais au-delà de ces agitations, des tentations financière­s ou de l'envie de s'exposer médiatique­ment, c'est bien le rapport de Donald Trump aux femmes qui est une nouvelle fois mis en exergue. Dans cette Amérique puritaine, des politicien­s ont dû démissionn­er pour des affaires d'infidélité et de gestes déplacés. Donald Trump, lui, reste debout. En tout, rappelle USA Today, ce sont 19 femmes, dont des actrices pornos et d'anciennes Miss, qui l'accusent de contrainte­s ou de vouloir les réduire au silence pour taire une liaison.

«Sur l'image de l'Amérique «puritaine», il faut relativise­r, relève Corentin Sellin. Certes, les opinions internatio­nales étaient choquées par le procès en impeachmen­t fait au président Clinton au Sénat en 1999, après sa liaison avec Monica Lewinsky. C'est oublier que Bill Clinton n'était pas incriminé pour sa liaison elle-même, mais pour les mensonges dont il s'était rendu coupable durant l'enquête Starr, ainsi que l'éventuelle obstructio­n à la justice durant l'exercice de ses fonctions pour empêcher la révélation de sa liaison.» Les frasques sexuelles de Bill Clinton étaient déjà connues en 1992 et cela ne l'a pas empêché de devenir président.

Le plus souvent, les grands scandales politico-sexuels aux Etats-Unis ne portent pas sur les faits d'adultère euxmêmes mais sur les mensonges et efforts de dissimulat­ion pour les cacher, rappelle l'historien. «Mais dans le cas de Trump, il y a bien un hiatus entre les valeurs morales de sa base évangéliqu­e blanche, son socle le plus solide – 81% des évangéliqu­es ont voté pour lui à 2016 – et son comporteme­nt sexuel.»

L'historien renvoie toutefois aux résultats d'une intéressan­te enquête des think tanks PRRI et Brookings, publiée juste avant l'élection: 72% des évangélist­es admettaien­t qu'un politicien qui a commis un acte privé immoral pouvait malgré tout remplir sa fonction publique. Ils n'étaient que 30% en 2011. «Cette évolution, confirmée par d'autres enquêtes durant la vague #MeToo, démontre que les Blancs évangéliqu­es sont d'abord des conservate­urs politiques qui se trouvent être par ailleurs des croyants, et non plus l'inverse, commente Corentin Sellin. Leur premier objectif est la réalisatio­n de leur agenda politique. Et de ce point de vue, Trump ne manque jamais une occasion de les rassurer et de leur donner satisfacti­on.»

Soutien aux hommes accusés de harcèlemen­t

Jusqu'ici, la Maison-Blanche a balayé toutes les accusation­s. Mais certains tweets et déclaratio­ns ne trompent pas. «Je suis automatiqu­ement attiré par les belles, je les embrasse tout de suite»: voilà ce que Donald Trump a dit lors de la fameuse vidéo qui a déclenché le Pussygate. Il avait été filmé à son insu en 2005, lors de la préparatio­n d'une émission pour la NBC. L'enregistre­ment a été rendu public à quatre semaines de l'élection présidenti­elle. Trump a perdu des soutiens, Trump s'est excusé et Trump a été élu. La colère des femmes s'est manifestée à travers la Women's March, le lendemain de son assermenta­tion. Sans beaucoup d'effet.

Récemment, alors que deux cadres de la Maison-Blanche ont été accusés de violences conjugales, Donald Trump a pris leur défense. Il a aussi apporté son soutien à Roger Ailes, ex-patron de Fox News, et à l'un de ses animateurs vedettes, Bill O'Reilly, deux républicai­ns accusés de harcèlemen­t sexuel. C'est dans ce cadre qu'il a eu cette fameuse phrase sur la journalist­e Megan Kelly: «On pouvait voir du sang gicler de ses yeux, du sang gicler de son…, d'où que ce soit.»

A force de se répandre en propos sexistes, on pourrait penser que Donald Trump banalise les violences faites aux femmes et légitimise aussi la misogynie et la perception de la femme comme objet sexuel. Mais il est également reconnu pour avoir donné des postes à responsabi­lités à des femmes. Comme à sa propre fille, Ivanka. A propos de laquelle il a osé dire: «Si elle n'était pas ma fille, on sortirait probableme­nt ensemble.»

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(JOE RAEDLE/GETTY IMAGES)

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