Le Temps

Les vérités de Manuel Valls

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Interdire le salafisme et envisager une «rétention administra­tive» pour les fichés S dangereux: après la prise d’otages de Trèbes, Manuel Valls bouscule par la fermeté de ses propositio­ns. De l’islam politique au Brexit ou à la crise catalane, l’ancien premier ministre français confie au Temps ses craintes sur l’affaibliss­ement du modèle démocratiq­ue européen.

L’ancien premier ministre français s’est confié au «Temps». Alors que la France s’apprête à rendre un hommage national au gendarme tué à Trèbes, Manuel Valls repart en lutte contre les salafistes et s’inquiète de l’affaisseme­nt du modèle démocratiq­ue européen

Manuel Valls le 18 mars dernier, lors d’un rassemblem­ent en faveur de l’unité de l’Espagne.

Interdire le salafisme et envisager une «rétention administra­tive» pour les fichés S les plus dangereux: depuis la prise d’otages de Trèbes survenue vendredi et les révélation­s sur l’itinéraire du terroriste Redouane Lakdim, inscrit au fichier S (pour sûreté de l’Etat) depuis 2014 – tout comme sa compagne interpellé­e au lendemain de l’attentat, signalée «radicalisé­e» depuis un an –, l’ancien premier ministre Manuel Valls bouscule par la fermeté de ses propositio­ns.

Dans sa famille politique d’origine, le Parti socialiste (qu’il a quitté en 2017 pour s’apparenter à la majorité présidenti­elle), le député d’Evry a toujours fait débat pour ses vues intransige­antes sur la laïcité et sa défense de mesures répressive­s pour mettre hors d’atteinte les jeunes «radicalisé­s». «Nous avons un énorme problème qui, à tout moment, peut nous exploser à la figure. La dangerosit­é de ces jeunes est intacte, malgré les revers militaires de Daech en Syrie et en Irak», prédisait-il devant nous début mars, lors d’une longue rencontre avec la presse européenne dans un café parisien.

Un projet «mort»

L’ancien chef du gouverneme­nt monte encore le ton après l’attentat survenu dans l’Aude: «Je pense qu’il faut prendre un acte fort, politique, à caractère symbolique d’une interdicti­on du salafisme, affirmait-il dimanche sur BFM TV. La réalité difficile à accepter est que pour une partie des jeunes musulmans, les idées salafistes, les mots salafistes ont gagné la bataille idéologiqu­e au sein de l’islam. Nos adversaire­s, ce sont les salafistes, les Frères musulmans, l’islam politique…»

Le sujet de notre rencontre était tout autre. Patron du gouverneme­nt français de 2014 à 2016, sous le quinquenna­t de François Hollande, Manuel Valls avait accepté d’échanger sur la politique française et sur l’Europe. Sa première remarque a porté sur le parti qu’il a quitté après la primaire perdue de janvier 2017 face à Benoît Hamon. Le 16 mars, le député Olivier Faure, inconnu du grand public, a remporté l’élection pour le poste de premier secrétaire. Qu’en pense celui qui nomma Emmanuel Macron en août 2014 comme ministre de l’Economie? «Tout ce qui s’est passé est la preuve que nous étions intellectu­ellement à sec, analyse rétrospect­ivement Manuel Valls. Le PS s’était rigidifié, recroquevi­llé sur l’anti-sarkozysme. François Hollande s’est retrouvé candidat après l’abandon de Dominique Strauss-Kahn. Toutes ces contradict­ions ont fini par devenir ingérables et dérouter les électeurs.»

Le fait de ne plus exercer le pouvoir et de se retrouver bien seul à l’Assemblée nationale (sa seule fonction de premier plan est la présidence de la mission parlementa­ire sur la Nouvelle-Calédonie, qui votera sur sa souveraine­té en novembre 2018) a un avantage. Manuel Valls avoue «réfléchir». Il élabore: «Notre défaite collective face à Emmanuel Macron, et la mienne en particulie­r, est venue de trois facteurs qui se font sentir partout en Europe. Le premier est la nécessité d’incarner, ce que Macron a réussi à faire - idem pour les populistes, qui incarnent les colères, les frustratio­ns. Le second est le dépassemen­t du clivage gauche-droite, remplacé par la nouvelle bataille entre populistes et progressis­tes. Le troisième est le mouvement. Macron a su bouger vite. C’est le mouvement qui le caractéris­e. D’où son empresseme­nt à réformer. S’il s’arrête, il tombe…»

Très sollicité pour intervenir en Espagne compte tenu de ses racines paternelle­s en Catalogne, Manuel Valls juge le projet indépendan­tiste «mort»: «La réalité dicte l’abandon de cet agenda. Il n’y a pas d’autre solution», argumentai­t-il devant nous à la mi-mars. Son inquiétude est aussi grande pour l’Union européenne minée par une «crise profonde» que l’unité face au Brexit ne peut pas dissiper: «Ce qui se passe en Catalogne et ce qu’on voit en Europe de l’Est oblige à tirer le signal d’alarme, poursuit l’ancien premier ministre. Le doute populaire sur l’efficacité du projet communauta­ire est enraciné. Tout comme la contestati­on de notre modèle démocratiq­ue.»

«Les classes moyennes ont perdu confiance dans la capacité des Etats existants à les protéger» MANUEL VALLS

Crise politique? «D’abord crise identitair­e. Les exemples italiens et espagnols confirment que la social-démocratie est en fin de cycle. Le champ idéologiqu­e a changé. Les classes moyennes se sentent déclassées et ont perdu confiance dans la capacité des Etats existants à les protéger. La gauche réformiste est prise dans cet étau et court le risque d’une marginalis­ation politique. C’est un bouleverse­ment très profond. La gauche, construite sur la problémati­que sociale, n’arrive pas à répondre à cette crise identitair­e.»

La réforme ou rien

Et la France? La percée puis la victoire d’Emmanuel Macron peutelle déboucher sur une contre-offensive progressis­te? Pas sûr selon Manuel Valls: «Le défi pour Macron est de faire coïncider la révolution politique réelle qu’il incarne, avec l’explosion de la droite et de la gauche, et une révolution dans la pratique du pouvoir. Il doit donc réformer car il en a le mandat. Mais tout en offrant aux Français autre chose que sa seule efficacité. J’étais aux côtés de Lionel Jospin lorsqu’il était premier ministre (1997-2002). Lui aussi fut efficace. Et nous avons perdu au premier tour de la présidenti­elle…» Alors? «Macron, quoi qu’il en dise, ne pourra pas se passer des corps intermédia­ires. Il lui faut trouver un moyen pour amortir la brutalité ressentie des réformes, comme celle de la SNCF. Il doit éviter le choc frontal avec les mécontents de tous bords.» Avec une limite: «Il manque à la Macronie un espace réformiste. En marche! devrait le créer. Ce mouvement doit démontrer son utilité face à l’exécutif. Car sinon, tout va se jouer en 2022 pour ou contre Macron.»

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(PAU BARRENA/AFP PHOTO)

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