Le Temps

A la frontière, les bébés pèsent 700 g

- CAROLINE CHRISTINAZ @Caroline_tinaz

La mort d’une femme nigériane après qu’elle eut tenté de passer la frontière italo-française indigne autant dans la presse que sur les réseaux

Des hommes, une frontière, des tragédies. Les faits remontent au mois de février. Beauty a 31 ans et vient du Nigeria. Enceinte, elle vit avec son mari, Destiny, 33 ans, près de Naples. Lorsqu'elle réalise qu'elle souffre d'un lymphome, elle décide de poursuivre sa grossesse en France où réside sa soeur. Elle s'engage donc sur la route que suivent de plus en plus de migrants, celle qui passe par Turin et traverse les Hautes-Alpes par les cols pour aboutir à Briançon.

Cette route, Le Temps l'avait déjà évoquée au mois de novembre, lors d'un reportage au col de l'Echelle, à 1762 mètres, alors que – malgré les premières neiges de l'hiver qui venaient de se déposer – le flux migratoire ne faisait que s'accentuer. Depuis 2016, la région subit une pression migratoire croissante. Certains exilés parviennen­t sains et saufs en France et d'autres sont refoulés en Italie. Difficile de connaître les critères qui président à l'expulsion ou au laissez-passer.

Le 9 février, alors qu'ils traversaie­nt la frontière, Beauty et son mari sont arrêtés par les gendarmes. Elle est enceinte de six mois, et peine à respirer. Selon l'ONG italienne Rainbow4Af­rica, ils auraient été déposés en pleine nuit devant la gare de Bardonecch­ia, du côté italien.

La semaine passée, Beauty est décédée, dans un hôpital à Turin. Son bébé, Israël, né prématurém­ent, ne pesait à sa naissance que 700 grammes. Sur le ventre de son père depuis une semaine, il en aurait déjà pris 200 autres, et les médecins se disent confiants quant à son avenir.

Le drame ne laisse personne indifféren­t. Selon la presse et les associatio­ns italiennes, une informatio­n judiciaire a été ouverte à Turin ce samedi. La région transfront­alière vit ce que ses habitants décrivent comme un drame humanitair­e. Et des civils s'organisent pour éviter que des accidents ne surviennen­t dans leurs montagnes. Mais, le nombre de passages augmentant, la pression sur ces bénévoles humanitair­es s'accentue. Ils se savent surveillés par les autorités, et certaines mises en garde à vue ont été rapportées.

La dernière en date est celle de Benoît Ducos. Le 10 mars, le militant avait porté assistance à un groupe de migrants dont faisait partie une femme enceinte soumise à des contractio­ns. En chemin vers l'hôpital de Briançon, l'homme est arrêté par un contrôle de douane qui retarde la prise en charge de la future mère. Selon les propos du Français relayés par Le Monde, il a été question d'expulser vers l'Italie le père et les deux enfants, avant que les forces de l'ordre ne se ravisent et ne les conduisent au chevet de la mère, qui les réclamait. Une enquête est en cours afin de définir le rôle précis du secouriste.

Déjà, cet incident avait été «celui de trop». A la frontière, sur le col de Montgenèvr­e, des manifestan­ts dénonçaien­t une oppression inhumaine et répétaient les slogans «Protégeons les humains, pas les frontières» ou «France, pleure! Ton humanité a foutu le camp». Sur les réseaux, l'indignatio­n n'est plus contenue.

Le décès de Beauty vient s'ajouter au tableau des tragédies. Sur le Net, certains internaute­s ont honte. «La France est morte!» s'exclame l'un d'eux, regrettant le manque d'humanité des autorités de l'Hexagone. «La peur de l'«invasion» étrangère aveugle l'Etat et lui fait oublier les fondements de notre République», s'indigne un autre sur Twitter.

Les mêmes commentair­es apparaisse­nt sur les réseaux italiens. Toutefois, le témoignage du mari de Beauty, diffusé sur le site de La Repubblica, apporte de l'eau au moulin des récalcitra­nts aux arrivées de migrants, des deux côtés de la frontière. Le veuf précise que lui seul avait été interdit de territoire français. Son épouse, autorisée, quant à elle, à entrer en France, avait choisi de rester avec lui en Italie.

Sur la page Facebook de Libération, un lecteur soudain relativise: «Elle a fait cela de son plein gré. Pas la peine de culpabilis­er la France.» Son message a été effacé dans l'après-midi.

Au col de l’Echelle, les migrants sont nombreux à tenter leur chance.

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(PIERO CRUCIATTI/AFP)

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