Du football à la grève de la faim
Ancien international junior allemand et idole du club kurde de Diyarbakir Amedspor, Deniz Naki a entamé voilà une semaine une action devant les Nations unies à Genève pour protester contre la situation dans le Kurdistan syrien
C’était il y a un an, jour pour jour. Aux alentours de 21 heures, nous pénétrions dans l’enceinte du petit stade d’Amedspor. Deniz Naki, le capitaine de l’équipe, attendait devant l’entrée. Alors premier de la troisième division turque, le petit Poucet du football turc espérait accéder à une promotion historique. C’était compter sans la détermination de l’administration Erdogan. Un an plus tard, l’ancien attaquant vedette a été suspendu à vie et son club végète dans le bas du classement, à cinq points du premier relégable. Pire, le joueur risque 1 an et demi de prison s’il retourne en Turquie.
En janvier dernier, Deniz Naki invite la population kurde à participer à une manifestation de soutien aux YPG (soldats combattants kurdes) à Cologne depuis son compte Twitter. Une provocation de trop pour la Fédération turque de football, qui l’avait déjà dans sa ligne de mire. Considérant que le joueur s’est rendu coupable d’apologie du terrorisme et de promotion du séparatisme, l’organisation le condamne à trois ans et demi de suspension et 60000 euros d’amende. Et selon la loi turque, toute suspension de plus de trois ans se transforme automatiquement en une expulsion à vie.
Engagement auprès de la population kurde de Syrie
Une décision hautement politique. Quelques jours auparavant, le joueur avait échappé à une tentative d’assassinat lorsque deux hommes avaient tenté de lui tirer dessus dans une station-service en Allemagne près de Düren, sa ville natale.
Victime d’une véritable campagne de dénigrement de la part des médias proches du pouvoir turc, le footballeur est devenu la bête noire des ultranationalistes au même titre que certains journalistes ou intellectuels opposés au pouvoir. En cause, son engagement auprès de la population kurde de Syrie et son soutien aux YPG, considérés comme une organisation terroriste par la Turquie.
Suite à sa suspension, Deniz Naki a publié un long message sur Facebook pour expliquer qu’il rompait son contrat et qu’il rentrait en Allemagne pour continuer la lutte. Sous protection rapprochée, l’ancien attaquant n’a visiblement pas supporté l’inaction. La semaine dernière, il annonçait son arrivée à Genève pour entamer une grève de la faim dans le but de sensibiliser les Nations unies à «la situation catastrophique que vivent nos frères à Afrin».
Des selfies
Près de la place des Nations, l’homme a une barbe plus fournie que lors de notre dernière entrevue. Il a aussi troqué la jaquette en cuir qu’il portait après les matches pour une veste de type militaire et un keffieh kurde. D’entrée de jeu, Deniz Naki explique que le ballon rond attendra: «En ce moment, il y a d’autres choses plus importantes que le football pour moi.»
Lui et une quarantaine d’élus du Parti démocratique des peuples (HDP, le parti pro-kurde de Turquie) se sont entassés dans un appartement du quartier de Plainpalais à Genève. Parmi eux, une dizaine ont entamé le même mouvement de protestation que lui. «Nous avons demandé aux autorités genevoises l’autorisation de pouvoir rester dans une tente devant l’ONU mais elles ont refusé. Du coup, nous venons ici manifester chaque jour entre 10h et 18h», raconte-t-il, déterminé. Il explique être venu dans la capitale des droits de l’homme pour «protester contre l’entrée de l’armée turque à Afrin. Lorsque les YPG ont vaincu l’Etat islamique à Raqqa, le monde entier les a soutenus. Ils étaient des héros. Aujourd’hui alors que nous sommes attaqués par les Turcs, personne ne dit plus rien.»
L’année dernière, lors du Newroz, la fête de la nouvelle année à Dyarbakir qui rassemble plusieurs centaines de milliers de personnes, Deniz était sur le podium des personnalités. Cette année, c’est à Lucerne qu’il a fêté l’arrivée des beaux jours avec plusieurs milliers de Kurdes venus pour l’occasion.
«Une grève de la faim n’est pas une action classique, poursuit le Turco-Allemand, devenu une star au Kurdistan en raison de son activisme politique. Certains pensent que je suis allé trop loin. Mais je ne pouvais pas rester sans rien faire devant la situation catastrophique.» Il est régulièrement interpellé par des Kurdes qui lui demandent de partager un selfie. Confiant quant à sa résistance physique, il ne semble pas encore subir les séquelles de la privation de nourriture: «C’est sûr que je suis de plus en plus faible. Mais jusqu’à présent je n’ai pas de problème à tenir sur mes jambes. Le soutien des gens me donne du courage.»
Difficile de savoir jusqu’à quand Deniz Naki et ses compagnons comptent rester à Genève, mais il est peu probable que le footballeur retourne en Turquie. Personnalité d’exception dans un football toujours plus policé, où la diffusion du moindre message politique sur un t-shirt entraîne automatiquement un carton jaune, Deniz Naki semblait promis à une grande carrière sportive. Il y a dix ans, alors joueur du Bayer Leverkusen, il remportait le Championnat d’Europe des moins de 19 ans en 2008 avec l’Allemagne.
Deniz Naki près de la place des Nations à Genève: «En ce moment, il y a d’autres choses plus importantes que le football pour moi.» «Aujourd’hui, alors que nous sommes attaqués par les Turcs, personne ne dit plus rien»
Solidarité de Sankt Pauli
Mais très vite, le binational fait le choix du militantisme. Ne trouvant pas sa place dans le club rouge et noir, Deniz rejoint le club de gauche de Sankt Pauli entre 2009 et 2012. Joueur entier qui ne ménage pas ses efforts, il devient l’un des héros de l’équipe en l’aidant à éviter une relégation. Le club de Hambourg lui rendra bien son engagement. Le 6 octobre 2016, alors que les ennuis de Deniz Naki avec la justice turque ne font que commencer, ses anciens coéquipiers décident de le soutenir à l’occasion d’une rencontre face au Bayern. Sur la feuille de match, tous les joueurs s’appellent Naki et portent le numéro 23.
L’élan de solidarité ne faiblit pas. Depuis l’annonce de sa suspension, le joueur aux tatouages significatifs (le visage du Che sur la main, le mot liberté en kurde sur l’avant-bras) a déclenché une vague de solidarité dans le milieu du football allemand. Il pose son regard au loin en direction du palais des Nations. «Je ne partirai pas d’ici avant d’avoir obtenu un résultat. Même s’il nous faut pour cela mourir. Je ne baisserai pas les bras.»
▅