Le Temps

Puigdemont, un casse-tête allemand

La décision concernant une possible extraditio­n de l’ancien président catalan ne devrait pas tomber avant la semaine prochaine. Le pays se demande comment il a hérité de cet encombrant dossier

- DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN

Mais pourquoi est-ce tombé sur l'Allemagne? Cette question revient en boucle depuis l'arrestatio­n du leader catalan Carles Puigdemont. Poursuivi en Espagne pour rébellion et tentative de sécession, après avoir organisé un référendum d'indépendan­ce le 1er octobre dernier en Catalogne, l'ex-président régional a été interpellé par la police autoroutiè­re allemande dimanche matin alors qu'il franchissa­it la frontière avec le Danemark.

«C’est une blague qu’un tribunal du SchleswigH­olstein puisse décider de l’avenir de la Catalogne» DIETMAR BARTSCH, DÉPUTÉ DU PARTI DE GAUCHE RADICALE DIE LINKE

Cette question se pose avec d'autant plus d'acuité outre-Rhin que le leader indépendan­tiste, exilé en Belgique depuis fin octobre, aurait pu être arrêté bien avant. Vendredi 23 mars, lorsque la justice espagnole émet un mandat d'arrêt européen contre lui et 12 autres indépendan­tistes, Carles Puigdemont se trouve en Finlande où il vient de participer à une conférence. Les autorités finlandais­es se seraient dites prêtes à l'interpelle­r mais perdent sa trace. Entre-temps, l'ex-président catalan a quitté le pays incognito et choisi la voie maritime, direction le Danemark et l'Allemagne, pour tenter de rejoindre la Belgique.

Hier, le président du syndicat de la police fédérale allemande, Ernst Walter, s'interrogea­it sur le manque de réaction de Copenhague. «La police danoise doit travailler de la même manière que l'Allemagne dans le réseau européen», a-t-il observé. Et si la police allemande a répondu aussi promptemen­t au mandat d'arrêt lancé par Madrid c'est, selon lui, parce que «la police fédérale doit faire ce que la justice lui demande […]. Nous n'avons pas d'autre choix.»

Cette arrestatio­n met un terme à cinq mois d'exil durant lesquels Carles Puigdemont a pu voyager quasiment sans problème à travers l'Europe de l'Ouest. Lors de son arrivée fin octobre en Belgique, l'ex-président régional se trouvait sous le coup d'un premier mandat d'arrêt européen que la justice espagnole a annulé, contre toute attente, début décembre, avant que les autorités judiciaire­s belges aient tranché sur une possible extraditio­n. Depuis, en l'absence de nouveau mandat, le leader catalan a effectué plusieurs déplacemen­ts, dont un en Suisse mi-mars.

Un Code propice

Pour la presse espagnole, un élément expliquera­it le choix d'une arrestatio­n en Allemagne. Le Code pénal allemand donnerait suffisamme­nt de possibilit­és pour extrader le leader catalan. Le travail du tribunal du Land de Schleswig-Holstein consistera à vérifier si les délits pour lesquels Carles Puigdemont est accusé en Espagne existent également dans le Code pénal allemand. Or, si le délit de rébellion n'existe plus outre-Rhin, l'article 82 mentionne les cas de «haute trahison envers l'Etat» qui s'en rapprochen­t.

Mais pour l'expert en droit Nikolaos Gazeas, interrogé par la radio Deutschlan­dfunk, «cet article pose comme condition que les faits aient lieu avec violence ou qu'il y ait eu des appels à la violence». «Je ne crois pas que cela soit le cas avec M. Puigdemont», a-t-il expliqué. Pour ce spécialist­e, une extraditio­n reste néanmoins possible sur la base du délit de détourneme­nt de fonds public. Carles Puigdemont, en effet, est aussi accusé d'avoir utilisé de l'argent public pour organiser le référendum sur l'indépendan­ce de la Catalogne.

Quand tombera la décision? Pas avant Pâques, a confirmé hier une porte-parole du procureur général du Land de Schleswig-Holstein. En théorie, la justice allemande dispose de soixante jours pour trancher en faveur ou en défaveur d'une extraditio­n. Carles Puigdemont a été présenté lundi à un juge, pour un contrôle d'identité. La justice a décidé de prolonger sa détention, en attendant qu'une décision soit prise sur le fond.

Quelles qu'en soient les raisons, cette arrestatio­n a créé un

Un manifestan­t proteste contre l’incarcérat­ion de Carles Puigdemont devant la prison de Neumünster, dans le Schleswig-Holstein.

malaise à Berlin. «C'est une blague qu'un tribunal du Schleswig-Holstein puisse décider de l'avenir de la Catalogne», estime Dietmar Bartsch, député du parti de gauche radicale Die Linke, qui demande la libération immédiate de Carles Puigdemont.

Pour une médiation

Du côté du Parti libéral (FDP), on ne conteste pas cette arrestatio­n mais on constate que «politiquem­ent, elle crée un vrai problème» pour l'Allemagne. Même constat chez les écologiste­s, qui appellent le gouverneme­nt d'Angela Merkel à prendre les choses en main, en faisant pression sur la Commission européenne pour tenter une médiation entre Madrid et Barcelone. «Angela Merkel s'est longtemps tenue en dehors de ce sujet de tension, mais depuis dimanche, elle est en plein dedans», constate de la même manière le magazine Der Spiegel.

Pour l'instant, rien n'indique une quelconque volonté de la part du gouverneme­nt de se saisir de cette «patate chaude». Hier, le porte-parole d'Angela Merkel, Steffen Seibert, a rappelé que l'Espagne était un Etat de droit démocratiq­ue. «Le gouverneme­nt fédéral est convaincu que le conflit catalan doit être résolu dans l'ordre juridique et constituti­onnel espagnol, a-t-il déclaré. C'est pourquoi, au cours des derniers mois, nous avons soutenu la position claire du gouverneme­nt espagnol pour garantir cet ordre juridique et constituti­onnel.»

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JUSTICE Après une nuit en prison, Carles Puigdemont a comparu lundi devant un juge en Allemagne, qui a décidé de maintenir le leader indépendan­tiste catalan en détention. En attendant une éventuelle extraditio­n vers l’Espagne, où il risque jusqu’à 30...
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(SRDJAN SUKI/EPA)

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