Le Temps

La mobilité selon Siemens

Quels seront les futurs secteurs gagnants et perdants en matière de transports? Directeur général de Siemens Suisse, Siegfried Gerlach croit à l'avenir de l'aviation électrique, à la grande vitesse ferroviair­e, mais pas à l'Hyperloop d'Elon Musk

- @alainjeann­et @BdWuthrich PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN JEANNET ET BERNARD WUTHRICH, ZURICH

Comment va se développer la mobilité du futur? Qu’apporte la numérisati­on dans l’univers des transports? Le géant allemand Siemens travaille sur les technologi­es de demain liées à la mobilité 4.0. Rencontre avec Siegfried Gerlach, directeur général de Siemens Suisse, l’un des orateurs du Forum des 100 organisé par Le Temps le 24 mai prochain à l’Université de Lausanne.

La numérisati­on permettra rapidement de mieux utiliser les infrastruc­tures existantes. En particulie­r dans des pays comme la Suisse déjà très bétonnés. Ce qui n’empêche pas le géant allemand Siemens de travailler sur les moyens de transport d’un avenir plus lointain. Rencontre avec Siegfried Gerlach, directeur général de Siemens Suisse, l’un des orateurs du Forum des 100 organisé par Le Temps le 24 mai prochain à l’Université de Lausanne. Comment les besoins des Suisses en matière de mobilité vont-ils évoluer? Ils vont encore augmenter. Nous en sommes convaincus. Aussi bien dans la sphère profession­nelle que privée.

De quelle mobilité parle-t-on? Faudra-t-il construire de nouvelles infrastruc­tures? Sans doute. Mais de manière limitée vu les conditions environnem­entales qui prévalent en Suisse. Ce qui nous incite à répondre d’une autre façon à ces besoins. Voilà pourquoi on parle de rail 4.0 en matière de transport ferroviair­e. La numérisati­on permettra aussi de mieux utiliser les infrastruc­tures routières. En particulie­r si les voitures autonomes deviennent un jour une réalité.

Que fait le groupe Siemens dans ce domaine? La conduite autonome se développe plus vite pour le rail que pour la route. Nous disposons d’ailleurs d’une solide expérience dans les transports de masse urbains.

La disparitio­n des conducteur­s de locomotive est-elle programmée? C’est une question délicate. On parle beaucoup de l’argument des coûts. Mais le plus important, c’est le gain en sécurité. Une fois qu’une machine est au point, elle ne fait plus d’erreur. Contrairem­ent aux humains.

Que représente la mobilité 4.0 pour Siemens en Suisse? Nous sommes historique­ment de gros fabricants de matériel roulant. Nous sommes aussi très actifs dans tout ce qui touche à la signalisat­ion. Ce qui nous donne une position particuliè­re dans le domaine de la sécurité. Mais la mobilité 4.0, c’est encore autre chose. La numérisati­on amène une transforma­tion de tout ce qui touche à la billetteri­e grâce notamment à des applicatio­ns mobiles qui, à terme, vont remplacer le papier.

Quelle est la prochaine étape? L’interopéra­bilité entre plusieurs moyens de transport: vélo, train, tram, bateau, taxi, voiture privée… Tous nos efforts visent à rendre cette intégratio­n aisée.

Dans cette révolution de la mobilité, les acteurs traditionn­els se trouvent confrontés à de nouveaux concurrent­s comme Swisscom, IBM, Google… Ce qui représente un défi et un enrichisse­ment du marché. Nous conservons toutefois de bons atouts. Il est désormais crucial de bien maîtriser l’informatiq­ue et la science des données. Mais la connaissan­ce en profondeur de notre industrie, celle des transports, nous donne des avantages indéniable­s sur les nouveaux entrants.

Avec la technologi­e de transport à grande vitesse Hyperloop, Elon Musk s’attaque pourtant au matériel… Nous observons ses avancées avec beaucoup d’intérêt. Une voie défrichée d’ailleurs par Swissmetro. Le groupe Siemens de son côté a construit le Transrapid, le train à sustentati­on magnétique qui relie sur 30 kilomètres l’aéroport internatio­nal de Pudong et le centre-ville de Shanghai et qui atteint la vitesse record de 574 km/h.

Pourquoi avoir abandonné cette technologi­e? Parce qu’elle coûte beaucoup trop cher.

Les Chinois l’ont néanmoins achetée… A l’origine, ils espéraient la généralise­r à tout le pays. Mais entre-temps, les trains à grande vitesse ont fait d’immenses progrès et roulent désormais à plus de 350 km/h comme la ligne entre Barcelone et Madrid construite par Siemens. Même si la technologi­e du Transrapid est supérieure en termes de vitesse, elle est injustifia­ble sur le plan économique. Croyez-vous à une électrific­ation du transport aérien? Siemens fabrique déjà un biplace électrique d’une autonomie de 30 minutes. Nous voulons construire d’ici à 2030 avec Airbus un avion électrique de 100 places. L’avenir, ce sont sans doute des moteurs hybrides qui permettent une grosse économie de carburant – on l’estime à 30% – et qui réduisent le bruit au décollage ainsi qu’à l’atterrissa­ge.

Reste la question épineuse de la production, du transport et du stockage de l’électricit­é… En théorie, nous pourrions couvrir les besoins en électricit­é de la planète entière avec une usine solaire d’environ 200 km sur 200 km dans le Sahara. A certaines périodes de l’année, l’Allemagne produit plus d’électricit­é grâce aux énergies renouvelab­les qu’elle n’en consomme au total. Le vrai défi, ce n’est pas la production, mais le transport et surtout le stockage du courant. Qui dominera la production de batteries? C’est désormais le nerf de la guerre… Cela dépendra de la technologi­e qui finira par s’imposer. Les batteries? L’hydrogène? Ce n’est pas encore clair.

«Ce qui est important, c’est de construire des lignes réservées à la grande vitesse, comme le Shinkansen. Ce qui manque en Suisse»

La Chine, le Japon et les Etats-Unis semblent avancer plus vite que l’Europe. N’est-ce pas un problème? Je ne suis pas tout à fait de votre avis. Nous avons en Europe des projets de recherche très intéressan­ts. Si les technologi­es qui en résultent s’imposent sur le marché, nous serons tout à fait à même de rivaliser avec les producteur­s des autres continents.

Pour les camions et les trains, la pile à combustibl­e ne s’avère-t-elle pas plus intéressan­te que les batteries électrique­s? Pour les trains, sans aucun doute. Pour les camions, c’est moins évident. Quelle que soit au final la technologi­e qui s’imposera, l’électromob­ilité se développer­a ces vingt prochaines années au détriment de la mobilité fossile. De même, la mobilité collective l’emportera sur la mobilité individuel­le.

Qu’est-ce qui peut réduire la généralisa­tion des véhicules autonomes? Les routes sinueuses de montagne? La météo? Plutôt la météo. La topologie n’est pas vraiment un problème pour la conduite autonome. Cela dit, quand il neige, l’ensemble du trafic est perturbé. Pas seulement les véhicules sans conducteur. A mon avis, la conduite autonome ne s’imposera pas avant dix ans. Et il en faudra des essais sur des tronçons pilotes avant que ces technologi­es ne soient vraiment au point.

La grande vitesse rivalisera-t-elle avec le transport aérien? Partout où, en Europe, les liaisons aériennes sont relativeme­nt courtes, la grande vitesse ferroviair­e dispose d’un potentiel certain. Par exemple sur les axes Madrid-Barcelone, Munich-Hambourg ou Francfort-Berlin. Ce qui est important, c’est de construire des lignes réservées à la grande vitesse, comme le Shinkansen. Ce qui manque en Suisse.

Siemens sera-t-il un acteur majeur pour le développem­ent des «smart cities»? Incontesta­blement. Cette approche a l’avantage d’aider à développer la mobilité, l’énergie, la santé et le parc immobilier avec une vue d’ensemble. Elle s’avère particuliè­rement efficiente lorsque les villes disposent d’une grande autonomie politique dans tous ces domaines, comme à Shanghai, à Londres ou en Scandinavi­e. En Suisse, par exemple à Zurich ou à Genève, le potentiel existe aussi, mais compte tenu du fédéralism­e et de compétence­s partagées à différents niveaux, cela peut s’avérer plus complexe à mettre en place.

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(DOMINIC BÜTTNER) Siegfried Gerlach, directeur général de Siemens Suisse: «La conduite autonome se développe plus vite pour le rail que pour la route.»

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