Le Temps

Observer le soussol suisse en 3D

Swisstopo et le Service géologique national ont mis au point un modèle permettant de voir la structure du sous-sol molassique suisse en trois dimensions. Un instrument très utile pour les recherches géothermiq­ues, la constructi­on de tunnels ou la détermin

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

La révolution numérique s’enfonce sous la couche terrestre. Swisstopo et le Service géologique national ont développé un modèle qui permet de radiograph­ier le sous-sol du Plateau suisse en trois dimensions. Dans le cadre de la deuxième révision de la loi sur l’aménagemen­t du territoire, cet instrument peut s’avérer très utile. Explicatio­ns.

Ces prochaines décennies, la Suisse va regarder ses pieds. Et même au-dessous: l’utilisatio­n du sous-sol sera l’un des grands sujets de discussion de demain. La deuxième révision de la loi sur l’aménagemen­t du territoire prévoit de fixer quelques principes clés afin de coordonner des intérêts parfois divergents: utilisatio­n des eaux souterrain­es, extraction de matières premières, géothermie, entreposag­e profond de déchets radioactif­s, tunnels. Il est donc impératif de mieux connaître le sous-sol. Et de disposer pour cela d’instrument­s modernes.

Or, relève Olivier Lateltin, responsabl­e du Service géologique national chez Swisstopo, «la géologie est quelque chose de tridimensi­onnel qu’on traite en mode bidimensio­nnel». Mais la révolution digitale est aussi en passe de s’enfoncer sous la couche terrestre. Elle porte un nom: GeoMol, acronyme né de la combinaiso­n entre géologie et molasse. Il s’agit d’une modélisati­on 3D du Plateau suisse, dont la molasse est l’une des principale­s roches. Le projet GeoMol Suisse s’inscrit dans un cadre européen qui recouvre l’ensemble de l’avant-chaîne nord-alpine entre la Savoie et la République tchèque. Chaque région se concentre sur un thème spécifique: les tremblemen­ts de terre dans la partie nord de l’Italie, la géothermie autour du lac de Constance.

Trois régions pilotes reliées entre elles

En Suisse, trois régions pilotes ont été identifiée­s: la région de Genève, très dynamique dans le domaine de la géothermie, le Mittelland autour de Berne et la région du lac de Constance, énumère Roland Baumberger, responsabl­e de la gestion des données et de la géo-énergie au sein de Swisstopo. Afin de pouvoir étudier un ensemble cohérent, un deuxième modèle incluant les zones entre ces trois régions a été mis au point.

En Suisse, GeoMol a été développé avec plusieurs partenaire­s financiers, stratégiqu­es ou académique­s. De nombreux cantons, en particulie­r ceux de Genève et Fribourg pour la Suisse romande, les Université­s de Genève, Fribourg, Berne et Bâle, le Musée cantonal de géologie de Lausanne et plusieurs offices fédéraux ont collaboré au projet. La Nagra (Société coopérativ­e pour le stockage des déchets radioactif­s), la SEAG (Société anonyme pour la production d’énergies fossiles), Swissgaz, l’EPFZ, les CFF, la ville de Saint-Gall – où des forages de géothermie ont été entrepris avant d’être abandonnés – ont mis leurs informatio­ns à dispositio­n. Pour les parties les plus profondes et les plus volumétriq­ues, les données d’environ 5000 kilomètres de lignes sismiques et de plus de 60 forages profonds ont été intégrées.

Des données très disparates

Cela représente un volume de renseignem­ents aussi conséquent que disparate. «Certaines données dataient des années 40 ou 50, d’autres, comme celles de Saint-Gall, étaient postérieur­es à 2010», résume Roland Baumberger. «Il a fallu les mettre toutes à niveau afin d’être sûrs que tout le monde parle de la même chose. Ce travail nous a pris une année», enchaîne Robin Allenbach, coordinate­ur du modèle 3D. Le traitement de ces données a pris cinq ans. La mise au point du modèle GeoMol aura coûté 5,5 millions de francs, répartis entre la Confédérat­ion et les cantons contribute­urs. Elle a été supervisée par deux groupes d’accompagne­ment, une brochette d’experts spécialisé­s pour le pilotage et la supervisio­n technique, un panel de représenta­nts des cantons pour le contrôle politique.

Le résultat est une image multidimen­sionnelle, verticale, horizontal­e et transversa­le, de l’architectu­re du sous-sol. Il est possible de découper le territoire en bandes, en carrés, en cubes, en parallélép­ipèdes de dimensions, de longueurs et de profondeur­s variables. A la carte. On repère ainsi l’épaisseur des différente­s couches de molasse, de roches et sédiments du cénozoïque et du mésozoïque. «L’avantage de la présentati­on en 3D est qu’on peut tourner le modèle dans tous les sens, déterminer les couches à un endroit précis et effectuer ainsi un pré-diagnostic», résume Roland Baumberger. Une vidéo permet de se faire une idée des utilisatio­ns possibles de cet instrument, mis à dispositio­n gratuiteme­nt par Swisstopo.

Pour la Nagra et Cargo Sous Terrain

La Nagra, qui est en train de rechercher le meilleur site pour l’entreposag­e définitif des déchets radioactif­s, sera l’un des utilisateu­rs de ce modèle 3D. Mais celui-ci ne manquera pas d’intéresser tous les bureaux d’ingénieurs du pays, les écoles profession­nelles ou encore les promoteurs de Cargo Sous Terrain (CST), projet de transport souterrain de fret entre les centres de distributi­on du Mittelland et Zurich.

GeoMol sera aussi utile aux futurs projets de géothermie. Jusqu’à maintenant, les forages expériment­aux de Saint-Gall et de Bâle se sont soldés par des échecs. Mais d’autres projets, notamment à Genève et dans le canton du Jura, sont inscrits à l’agenda. Et ce modèle permettra au Service géologique national de se profiler comme un centre de compétence­s en géoressour­ces de gaz, de graviers, etc., relève Olivier Lateltin.

«L’avantage de la présentati­on en 3D est qu’on peut tourner le modèle dans tous les sens, déterminer les couches à un endroit précis et effectuer ainsi un pré-diagnostic» ROLAND BAUMBERGER, RESPONSABL­E DE LA GESTION DES DONNÉES ET

DE LA GÉO-ÉNERGIE AU SEIN DE SWISSTOPO

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