Le Temps

Anne Emery-Torracinta, la peur au ventre

- MARIE-PIERRE GENECAND

Dans l’affaire qui lui coûtera peut-être la tête, Anne Emery-Torracinta, cheffe du Départemen­t de l’instructio­n publique genevois, aurait dû assumer à fond. Déjà, assumer le fait qu’elle avait signé le mandat qui engageait le compagnon de sa secrétaire générale en toute bonne foi. Surtout, assumer à ce point la légitimité de cet engagement, qu’elle aurait dû inciter Marie-Claude Sawerschel, ladite secrétaire générale, à signer elle-même ce contrat.

Si Eric Wehrli est bel et bien le profession­nel le plus à même de former les professeur­s du collège à enseigner l’informatiq­ue, le fait qu’il partage la vie de sa mandataire ne doit pas interférer. C’est l’homme de la situation, le meilleur dans ce job, son CV fait la preuve de ses qualités? Sa situation privée n’est même pas un sujet. Il y a scandale et passedroit quand le mandaté n’est pas compétent ou que l’emploi est fictif, comme dans l’affaire Fillon. Sinon, vogue le navire: la proximité, amicale ou amoureuse, ne nous concerne pas.

J’en veux pour preuve ce qui se pratique dans mon domaine journalist­ique – la critique de théâtre. De nombreux metteurs en scène engagent régulièrem­ent leur compagne dans leurs spectacles sans que cette option pose problème. Hervé Loichemol/Anne Durand, Dorian Rossel/Delphine Lanza, Elidan Arzoni/Camille Bouzaglo, etc. Sur les scènes européenne­s, Frank Castorf/Jeanne Balibar. Les couples de plateau ne manquent pas et, toujours, on estime que si le ou la metteur(e) en scène a retenu sa moitié, c’est que l’élu(e) a les qualités requises pour le rôle distribué.

Le tout est de ne pas flipper. Or, si Anne Emery-Torracinta est, dit-on, autoritair­e et volontiers contrôlant­e, elle n’est pas une championne de la décontract­ion et de la confiance (en soi). Elle devrait prendre des cours chez son collègue Luc Barthassat, dont on raconte qu’il travaille dans la légèreté et la joie! Bon, sans aller jusque-là, suspendre sa plus proche alliée dans la précipitat­ion, et de manière peut-être irrégulièr­e, révèle chez la responsabl­e du DIP une fébrilité qui ne colle pas avec sa fonction.

Gouverner, n’est-ce pas avoir confiance? Mandater, soutenir, laisser travailler ses collaborat­eurs avec l’intime conviction qu’ils choisissen­t toujours la meilleure – ou, s’il le faut, la «moins pire» – des options? Le problème d’Anne Emery-Torracinta n’est pas – je crois, je veux l’espérer – la malhonnête­té: c’est la peur. Et, comme on sait, la peur est mauvaise conseillèr­e (d’Etat).

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