Le meurtre qui effraie les juifs de France
L’assassinat, à Paris, de l’octogénaire Mireille Knoll relance les accusations d’«omerta» sur les actes antisémites. Et ce dans un contexte difficile, où certains quartiers à forte présence juive connaissent une insécurité croissante
La justice a, cette fois, rapidement tranché. Trois jours après le meurtre, vendredi à Paris, de l’octogénaire Mireille Knoll, retrouvée brûlée chez elle après avoir été poignardée à mort, le parquet a retenu le caractère antisémite de l’agression. Une information judiciaire a été ouverte pour «assassinat à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion et sur personne vulnérable». Les deux auteurs présumés du crime, interpellés ce weekend, avaient connaissance de la religion de la victime et le plus jeune d’entre eux, présenté comme un sans domicile fixe de 21 ans, aurait crié «Allah Akbar» au moment de commettre son forfait, selon son complice âgé, lui, de 29 ans. Ce dernier était… un voisin de Mireille Knoll qui, selon son propre fils, le connaissait depuis l’enfance et le considérait presque «comme un membre de sa famille».
Cette rapidité judiciaire contraste avec l’attentisme qui avait entouré voici tout juste un an, en avril 2017, la torture et le meurtre de Sarah Attal-Halimi, 65 ans, tuée dans son appartement parisien du quartier de Belleville sous les coups de Kobili Traoré, un voisin malien de 27 ans. Dans son enquête très fouillée L’affaire Sarah Halimi (Ed. du Cerf ), la journaliste Noémie Haoulia raconte comment le meurtrier fanatisé «accompagnait ses coups de sourates coraniques psalmodiées à haute voix». Arrêté quelques jours après son crime, l’homme avait d’abord été considéré comme fou. Ce n’est qu’un an après, début mars, que la juge d’instruction a retenu le caractère antisémite du crime. Le 16 juillet 2017, lors d’un discours d’hommage aux victimes juives de la rafle du vélodrome d’Hiver survenue en juillet 1942, Emmanuel Macron avait demandé, en présence du premier ministre israélien, «que toute la lumière» soit faite sur cet assassinat.
La rafle du Vel d’Hiv, date symbole du début de la déportation des juifs français vers les camps de la mort, revient aujourd’hui en arrière-plan. C’est lors de sa commémoration, le 16 juillet 1995, que Jacques Chirac avait reconnu pour la première fois la responsabilité de la France dans cette tragédie. «Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français», avait asséné le président. Or Mireille Knoll, née en 1932 et assassinée vendredi dans son appartement du quartier de la Nation, avait échappé, enfant, aux descentes des policiers: sa mère et elle avaient quitté Paris quelques jours avant pour se réfugier au Portugal.
Deux autres réalités conduisent la communauté juive française – entre 500000 et 600000 personnes selon les estimations – à se sentir aujourd’hui menacée, malgré la mobilisation nationale postérieure à l’attentat contre l’Hyper Cacher le 9 janvier 2015, deux jours après la tuerie de Charlie Hebdo. La première est la détérioration incontestable de la sécurité dans des quartiers à forte présence juive, comme à Sarcelles, dans la banlieue nord de Paris, où un enfant juif de 8 ans a été agressé fin janvier parce qu’il portait une kippa.
Cette détérioration est aussi sensible à Paris. En février 2015, un journaliste israélien connu pour ses positions anti-musulmanes, Zvika Klein, s’était fait filmer en train de marcher dans Paris avec une kippa, essuyant insultes et propos racistes. En janvier dernier, une autre agression antisémite, contre une adolescente, est intervenue au Raincy, commune bourgeoise réputée sûre. A la suite de l’attaque de Sarcelles, le premier ministre français, Edouard Philippe, a rendu public le 19 mars un nouveau plan de lutte contre l’antisémitisme afin de lutter contre le «torrent de boue» qui déferle selon lui sur Internet. La fermeture immédiate des sites propagateurs de haine est érigée en priorité.
La fermeture immédiate des sites propagateurs de haine est érigée en priorité Devant l’appartement de Mireille Knoll, à Paris, quatre jours après l’assassinat.
Thèses haineuses en cours de banalisation
Après le départ record de 5000 juifs français pour Israël en 2016, la tendance à l’exil s’est ralentie. Mais les organisations juives tirent l’alarme sur une autre réalité: la recrudescence des actes violents. Selon le bilan 2017 du Ministère de l’intérieur, les menaces à caractère antisémite ont baissé de 7,2% en 2017 par rapport à 2016. En revanche, les actions violentes ciblant des juifs ont augmenté «de manière préoccupante» de 26%.
Un lien est établi par beaucoup avec la progression de l’islam salafiste. «Le danger est la banalisation des thèses mensongères et haineuses propagées par les islamistes dans les quartiers, explique André S., responsable d’une association juive à SaintMandé, où se trouve l’Hyper Cacher attaqué par Amedy Coulibaly. Ce ne sont pas les imams ou les gourous salafistes qui s’en prennent à nous. Ce sont leurs jeunes recrues qui «veulent se faire un juif.» «Se faire un juif» avait été, en janvier 2006, le terme terrifiant utilisé par le fameux gang des barbares qui tortura à mort Ilan Halimi. Le commanditaire du meurtre, Youssouf Fofana, a été condamné en 2009 à la perpétuité.