Le Temps

Le mystère du train vert nord-coréen

- BRICE PEDROLETTI, PÉKIN (LE MONDE)

Le dirigeant Kim Jong-un pourrait avoir effectué sa première visite en Chine depuis son installati­on au pouvoir en 2011

Un mystérieux train vert aux vitres teintées noires est arrivé, lundi 26 mars dans l’après-midi, à Pékin en provenance de Pyongyang. Des palissades avaient été dressées dans la gare de la ville frontalièr­e de Dandong, et des retards étaient annoncés sur de nombreux trains reliant le Nord-Est chinois à la capitale. Des mesures exceptionn­elles de sécurité ont été prises autour du Grand Hall du peuple, sur la place Tiananmen, et un convoi officiel lourdement gardé a été aperçu en des lieux stratégiqu­es.

Tout laisse à croire qu’un dignitaire nord-coréen de très haut rang est arrivé à Pékin. Possibleme­nt le dirigeant Kim Jong-un en personne, qui effectuera­it ainsi sa première visite à l’étranger depuis son arrivée au pouvoir, en 2011. L’agence Bloomberg l’a annoncé, en se fondant sur trois sources. Sans démentir, le Ministère chinois des affaires étrangères s’est refusé, mardi, à en dire davantage, sa porte-parole, Hua Chunying, se contentant d’indiquer que des informatio­ns à ce sujet seraient publiées «en temps voulu». Selon l’agence japonaise Kyodo, le train spécial nord-coréen serait reparti mardi après-midi.

Le père de Kim Jong-un, Kim Jong-il, connu pour sa phobie de l’avion, avait l’habitude de mener en train, et sans annonce officielle préalable, ses tournées auprès de ses deux grands voisins, la Chine et la Russie. Pékin confirmait la visite quand celle-ci arrivait à sa fin. Et comme lui, notent les observateu­rs, Kim Jong-un aurait ainsi attendu de consolider son pouvoir pendant plusieurs années pour sortir des frontières du pays ermite.

Les photos volées du convoi officiel – escorte de motards, limousines noires, ambulance – qui ont circulé sur les réseaux sociaux laissent penser que ce visiteur a gagné, lundi soir, la résidence officielle des dignitaire­s étrangers en visite en Chine, le Diaoyutai. Il faut noter également que les officiels nord-coréens en visite en Chine, à l’exception du dirigeant suprême du pays, s’y rendent par avion.

A Washington, la Maison-Blanche s’est dite incapable de confirmer si Kim Jong-un se trouvait ou non toujours à Pyongyang. Et le gouverneme­nt sud-coréen, généraleme­nt bien informé sur la situation au Nord, a dit simplement «suivre la situation de près». Cette visite surprise, si elle se confirmait, intervient à un moment décisif dans le processus de désescalad­e entre la Corée du Nord, les Etats-Unis et la Corée du Sud, amorcé par l’invitation de Pyongyang à l’occasion des Jeux olympiques de Pyeongchan­g, en Corée du Sud, en février.

Il s’agirait d’abord pour Pyongyang de reprendre langue avec son ancien allié et protecteur chinois – en vue peut-être d’obtenir de Pékin des garanties sur sa sécurité future et son développem­ent économique en cas d’allègement des sanctions. Et pour la Chine, de s’assurer qu’elle n’est pas écartée des discussion­s qui s’annoncent.

Une relation dégradée

«La Corée du Nord est, de nouveau, en train de tenter de jouer la Chine et les Etats-Unis l’un contre l’autre en se présentant comme un pivot qui aurait la liberté de choisir avec qui travailler. C’est une stratégie éculée, qui date du temps où le grand-père de Kim Jong-un, Kim Il-sung, jouait Pékin contre Moscou», estime Yun Sun, chercheuse au Stimson Center à Washington, jointe par courriel. «La Chine n’est que trop heureuse de renouer avec la Corée du Nord à un moment où Pékin se sent marginalis­é et souhaite reprendre place à la table des négociatio­ns», poursuit-elle.

La Chine est en froid avec son voisin nord-coréen du fait de la poursuite par Kim Jong-un d’une stratégie de développem­ent à tout prix de l’arme nucléaire. Quatre essais nucléaires souterrain­s ont été menés par Pyongyang entre 2013 et 2017 ainsi qu’une multitude de tirs balistique­s, en violation des résolution­s des Nations unies. Pékin, qui dispose d’un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, a non seulement approuvé ces résolution­s mais s’est retrouvé en première ligne pour appliquer les sanctions qui en découlaien­t – certes avec un zèle variable, mais suffisamme­nt pour conduire à une grave détériorat­ion de leurs relations de pays frères.

«Les fondamenta­ux de la relation bilatérale au cours des dernières décennies ont changé du tout au tout. Du point de vue de Pyongyang, la Chine a trahi son proche allié. La perception des Nord-Coréens est qu’ils aident la Chine à se défendre contre les menaces américaine­s envers sa sécurité. La Chine devrait selon eux être reconnaiss­ante à la Corée du Nord, et non l’inverse», expliquait lors d’une récente conférence le professeur Zhao Tong, spécialist­e des politiques d’armement nucléaire au Centre Carnegie-Tsinghua à Pékin.

Kim Jong-un aurait attendu de consolider son pouvoir pour sortir de son pays

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