Le Temps

Les leçons des élections russes pour l’avenir

- ANDRÉ LIEBICH PROFESSEUR HONORAIRE AU GRADUATE INSTITUTE

Sans surprise, le président Vladimir Poutine a été élu le 18 mars pour un quatrième et, en principe, dernier mandat qui s'étend jusqu'en 2024. Surprenant était le score atteint par le gagnant: presque 77% du vote, bien au-delà des 70% ambitionné­s par le pouvoir. La participat­ion, malgré les efforts importants et critiquabl­es déployés, n'a pas passé la barre des 70% espérés. Néanmoins, à 68%, la participat­ion a dépassé celle des dernières élections présidenti­elles en 2012 et elle était largement supérieure à celle des élections législativ­es en 2016 où la participat­ion, la plus basse dans l'histoire de la Fédération russe, n'avait pas atteint les 50%. Même dans la ville de Moscou, bastion de l'opposition anti-Poutine et lieu des manifestat­ions anti-régime récentes, où le candidat Poutine n'avait pas obtenu une majorité en 2012, cette fois-ci il a réussi un score confortabl­e de 70%.

Comme ceci sera, vraisembla­blement, le dernier mandat de Poutine, il est intéressan­t de regarder les autres candidats, même si leurs résultats se situent loin, très loin, derrière le gagnant. Le deuxième dans la course, Pavel Groudinine, qui a obtenu près de 12% des votes, représenta­it un Parti communiste auquel il n'appartient pas. Avec son aspect élégant, c'est un candidat communiste d'un nouveau genre, semblable aux anciens communiste­s d'Europe centrale qui se sont fait une virginité politique après la chute du bloc de l'Est. Vivement critiqué par la «vraie» gauche, qui lui reproche sa fortune et ses prétendus comptes en Suisse, il semble répondre aux aspiration­s de beaucoup de Russes: garant de la sécurité de l'époque communiste avec en plus la démonstrat­ion d'un succès enviable sous le capitalism­e.

Par contre, les candidats «libéraux» ont connu une défaite retentissa­nte: Grigori Iavlinski, candidat du parti Iabloko, a obtenu à peine 1% des votes. Ksenia Sobtchak, une vedette de la télévision russe et la seule femme en lice, n'a pas atteint 2%. Depuis les élections, l'opposition au régime Poutine s'entre-déchire. Alexeï Navalny, considéré en Occident comme la tête de proue de l'opposition libérale et interdit par le pouvoir russe de participat­ion aux élections, dénonce Sobtchak avec des termes abusifs. Sobtchak, décrite par Navalny comme faisant partie de ce qu'on appellerai­t ici la «gauche caviar», était aussi la seule des candidats à refuser l'annexion de la Crimée à la Russie. Cette concession à l'opinion occidental­e ne semble pas avoir plu en Russie. D'ailleurs, la date des élections a été changée pour coïncider avec l'anniversai­re de l'annexion et le dernier des rares meetings électoraux de Poutine a eu lieu en Crimée. L'absorption russe de la Crimée, tant décriée en Occident, est, apparemmen­t, populaire en Russie même. La divergence de perspectiv­es entre Est et Ouest est patente.

Face aux nombreuses critiques émises par l'OSCE [l'Organisati­on pour la sécurité et la

L’acceptatio­n générale des accusation­s à l’égard de la Russie dans l’affaire Skripal n’a fait que confirmer la thèse chère au Kremlin que la Russie est entourée par des forces ennemies

coopératio­n en Europe] lors des dernières élections présidenti­elles en 2012, le pouvoir a tenu, cette fois, à montrer patte blanche en installant à la direction de la Commission électorale centrale (CEC) l'ancienne responsabl­e des droits de la personne et en évitant la fraude trop voyante. L'OSCE, avec ses 500 observateu­rs électoraux, a reconnu que la CEC a joué son rôle de manière «efficace et ouverte». Cependant, l'OSCE n'a pas de mots assez durs pour condamner l'absence de véritable compétitio­n dans le processus électoral. Les efforts du Kremlin pour obtenir une légitimité internatio­nale du président Poutine se sont donc soldés par un échec, comme en témoigne l'absence de félicitati­ons d'usage venant de la plupart des pays occidentau­x. Dans les deux semaines qui ont précédé les élections, l'affaire de l'ex-espion russe Sergueï Skripal, empoisonné en Angleterre, a dominé les manchettes en dehors de la Russie. Tout comme la réaction à la réélection de Poutine, l'acceptatio­n générale des accusation­s à l'égard de la Russie dans l'affaire Skripal n'a fait que confirmer la thèse chère au Kremlin que la Russie est entourée par des forces ennemies et que les problèmes de la Russie sont dus aux étrangers. C'est à cela qu'ont amené les sanctions et les autres mesures réprobatri­ces envers la Russie et l'hostilité dont elle est l'objet.

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