L’Afrique veut accélérer sa croissance
La Banque africaine de développement, dont la Suisse est actionnaire, lance une augmentation de son capital. Selon son vice-président, Charles Boamah, il est urgent de répondre aux aspirations des jeunes et éviter une migration incontrôlée et périlleuse
La Suisse est appelée à s'engager davantage avec l'Afrique. Cette fois-ci, la demande émane de la Banque africaine de développement (BAD), qui entend augmenter son capital. Actionnaire depuis 1982, date à laquelle l'institution s'est ouverte aux pays non africains, la Confédération occupe un siège permanent au sein de son comité directeur.
De passage samedi dernier au siège de la banque à Abidjan, capitale de la Côte d'Ivoire, le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann a montré tout son intérêt. En 2016, Berne avait participé à la quatorzième reconstitution du Fonds africain de développement – le guichet des prêts à bas taux d'intérêt – à hauteur de 174 millions de francs. Soit 3% de l'ensemble de l'enveloppe.
Johann Schneider-Ammann enthousiaste
«Ce que j'ai vu jusqu'à présent m'enthousiasme, a déclaré Johann Schneider-Ammann à Charles Boamah, vice-président de la BAD. Je vois de nombreux défis, mais je vois aussi un grand dynamisme. L'urbanisation qui progresse est une chance; l'esprit d'innovation se développe dans les villes.» Le conseiller fédéral n'a toutefois pas caché son inquiétude face au surendettement de certains pays. Par rapport à 2013, leur nombre a doublé à 14 en 2017.
De l'argent frais, mais à quel fin? «L'augmentation du capital – le montant n'est pas encore précisé – est urgente, a plaidé Charles Boamah. Nous devons par exemple donner une perspective aux jeunes si l'on veut éviter qu'ils prennent le risque de traverser le désert, puis la Méditerranée dans l'espoir de se retrouver en Europe.» Chaque année, 10 à 12 millions d'Africains arrivent sur le marché du travail. La BAD vise à augmenter leur employabilité en les formant dans tous les domaines, y compris dans les nouvelles technologies et la finance.
Pour Charles Boamah, la migration, aussi illégale que périlleuse qu'elle soit, n'est pourtant que le sommet de l'iceberg. «Il y va de la sécurité non seulement de l'Afrique, mais de toute la planète, a-t-il dit. A présent, sa démographie apparaît comme un atout. La population africaine passera de 1,8 milliard d'habitants en 2017 à 4,2 milliards en 2050. Si on ne fournit pas de perspectives aux jeunes, ce sera un désastre démographique.»
L’Afrique produit 75% du cacao mondial
Grâce aux nouveaux financements, la BAD entend accélérer l'industrialisation du continent. Notamment en investissant dans les infrastructures (transport, énergie, communication). La part de l'industrie dans le produit intérieur brut (PIB) africain atteint seulement 2%. «Cette situation est restée inchangée depuis des années», a reconnu Charles Boamah. Selon lui, l'Afrique doit renforcer sa part de valeur ajoutée dans la chaîne de production à partir de ses matières.
Par exemple, le continent, essentiellement la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Cameroun et le Nigeria, fournit 75% du cacao mondial. Mais il ne gagne qu'environ 800 millions sur 110 milliards de dollars générés par l'industrie chocolatière dans le monde. «Par-dessus tout, les producteurs ne sont pas à l'abri des fluctuations des prix sur lesquels ils n'ont aucune prise, a fait encore remarquer le vice-président de la BAD. L'idée n'est pas de constituer une sorte de l'OPEP du cacao, mais de fournir, autant que faire se peut, des produits finis ou semi-finis.»
La Chine, acteur incontournable
Autre priorité: l'agriculture et la sécurité alimentaire. Au total, 65% des terres arables non cultivées dans le monde se trouvent en Afrique. Et pourtant, celle-ci importe des vivres pour 35 milliards de dollars par an. «Si rien ne change, la facture montera à 100 milliards en 2030», a poursuivi Charles Boamah qui, de nouveau, évoque le déficit d'infrastructures pour expliquer le désastre. En effet, entre 30 et 40% des récoltes sont perdues dans les champs ou mangées par des rats faute de transport et de capacité de stockage.
En matière de nouveaux capitaux, la BAD salue l'apport de la Chine. Cet acteur finance des infrastructures ainsi que des projets industriels et agricoles depuis une vingtaine d'années. Mais pour son vice-président, «les Etats doivent négocier des contrats de qualité dans la transparence et veiller à ce qu'ils en bénéficient autant que les investisseurs chinois».
Enfin, l'Afrique peut-elle vraiment décoller sans s'engager dans une lutte ferme contre la corruption? «Non, a répondu Charles Boamah. La bonne gouvernance est une priorité. La BAD a pris de nombreuses initiatives pour assurer la transparence dans la gestion des affaires publiques.» Exemple: grâce à une refonte de l'office des impôts au Togo, les rentrées fiscales ont doublé d'une année à l'autre.
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