Le Temps

Du foot au porno, le transfert de Dadà Iovinella

- VALENTIN PAULUZZI, MILAN @vpauluzzi

Pour payer ses factures, le jeune défenseur Davide Iovinella est devenu gigolo puis acteur de films X. Il est aujourd’hui coaché par Rocco Siffredi, qui rêve de le transférer à Budapest. Au-delà du salace, son destin est représenta­tif de la réalité d’un métier – footballeu­r – de plus en plus précaire

L’historique éliminatio­n de l’Italie en barrages de qualificat­ions de la Coupe du monde a marqué les esprits, mais elle n’est que la pointe de l’iceberg d’un football en grande difficulté et incapable d’élire son gouverneme­nt. C’est d’ailleurs sans surprise qu’il a été placé sous la tutelle du Comité olympique italien, lequel devra affronter toute une série de problèmes, notamment dans les étages inférieurs.

Depuis 2011, 53 clubs profession­nels ont fait faillite dans la seule Lega Pro, la troisième division répartie en trois groupes de vingt équipes. Un massacre. Vicenza et Modena, deux formations historique­s du calcio, sont les derniers sacrifiés en date. Le second a même été éjecté en cours de saison, renforçant la précarité grandissan­te du métier de footballeu­r.

Le chômage, Davide Iovinella ne l’a pas connu, ses qualités lui ayant toujours permis de trouver un club depuis ses débuts avec les seniors en 2010. De San Nicola à Pomigliano en passant par la Turris, la Neapolis ou encore la Caivanese, il a fait le tour de la Campanie, se faisant connaître auprès des experts locaux. Un défenseur central doté d’un excellent potentiel, au point d’avoir fréquenté l’équipe nationale de Serie D, sorte de consécrati­on pour les semi-amateurs.

Bidonnage et pistonnage

En 2013, alors âgé de 20 ans, celui que l’on surnomme Dadà est même à deux doigts de réaliser son rêve. Physique affûté et look impeccable, l’enfant de la difficile périphérie napolitain­e se souvient: «Trois clubs de Lega Pro s’intéressai­ent à moi de très près, j’avais l’occasion de signer un contrat profession­nel de trois ans, mais ça ne s’est pas fait à cause d’un agent qui demandait une trop grosse commission.» C’est une première prise de conscience.

La deuxième advient un an plus tard au terme d’une saison où son équipe, la Neapolis, est embourbée jusqu’au cou dans le «Calcioscom­messe», le fameux scandale des matches arrangés: «Quinze matches en tout. Sur le moment, je ne m’étais rendu compte de rien, mais après, vous vous refaites le film du match, et vous commencez à piger.» Coup de grâce à Pomigliano où, malgré des prestation­s toujours positives, il dispute un match sur deux. «Car il faut faire des compromis avec les présidents et entraîneur­s pour poursuivre sa carrière. Voilà pourquoi de nombreux talents italiens ne sont pas valorisés et se perdent en route.»

Pas qu’un objet sexuel

Les perspectiv­es financière­s étant également limitées, Dadà mise sur sa belle bouille et se lance parallèlem­ent dans le métier de gigolo, il y a trois ans, par l’intermédia­ire d’une connaissan­ce. «C’est plus subtil qu’il n’y paraît. Je ne suis pas qu’un défouloir sexuel, je dois affronter les discours et les peurs de mes clientes, savoir les écouter, donner des conseils; parfois on m’appelle juste pour prendre un café. Ces femmes ont de l’argent mais elles ont aussi beaucoup plus de problèmes que moi.»

Remarquant sa note maximale pour la catégorie «sexe» sur les catalogues des sites spécialisé­s, l’une d’entre elles lui propose de participer à un casting d’acteurs de films pour adultes. «J’ai réfléchi, il faut du courage et assumer. Il y a plein de mecs qui se vantent sur les chats et les forums, mais quand il s’agit de passer à l’acte, il y a moins de monde. C’est pour cela qu’il y a plus de femmes que d’hommes dans cette branche.» Le jour de cette détection, un collaborat­eur de l’inénarrabl­e Rocco Siffredi est présent et remarque le talent du rookie. «Et ça a fait la différence; si je devais pratiquer ce métier, je devais l’apprendre en côtoyant le meilleur de tous les temps. C’est comme être entraîné par Maradona!»

Sélectionn­é parmi 3000 candidats, le Napolitain s’envole pour Budapest (capitale de l’industrie du sexe) où il participe et remporte la Siffredi Hard Academy au mois de juin, puis en septembre, pour un historique doublé au sein de ce centre de formation du porno. Une vraie révélation qui se fait rebaptiser Davide Montana par Rocco himself. «Il m’a dit que j’avais du courage de délaisser ma passion pour tenter cette aventure. C’est une personne exceptionn­elle, cultivée, très humble, qui aide son prochain. Il a trois mots d’ordre: humilité, passion et ironie. En revanche, il se fout complèteme­nt du football…»

Qu’importe, Dadà puise dans son CV pour exercer au mieux ses nouvelles fonctions. «Une certaine habitude à la pression et aux critiques, et puis, évidemment, le physique. Il faut du souffle, de la constance et de la force. C’était à chaque fois six jours intensifs avec plusieurs scènes par jour. C’est un vrai boulot, ce n’est pas comme être dans son lit avec sa compagne, les positions ne sont pas commodes du tout même si cela m’entretient pour le football. Lors d’une bonne partie de jambes en l’air, vous travaillez la force, vous faites du squat, vous éliminez de l’acide lactique. Rocco me répète que j’ai un sacré potentiel, il me fait même tourner dans sa boîte de production mais je devrais aller à Budapest pour vraiment percer dans le milieu.»

Trouver un club à Budapest

Iovinella est à la croisée des chemins. Pour exercer sa nouvelle profession où la méritocrat­ie n’est pas galvaudée, il a été contraint de descendre en Promozione, la 6e division, chez lui, à Marcianise, afin de pouvoir s’absenter lorsqu’il est convoqué à Budapest, où il n’est encore payé qu’à la journée. «Mais ce n’est pas mon niveau, je vaux beaucoup mieux, je veux continuer; l’idéal serait de trouver un club en Hongrie, mais je me méfie tellement des agents désormais…»

Si son histoire a fait parler dans sa région, ses anciens coéquipier­s le soutiennen­t, ou sont même devenus ses premiers fans. Désireux de ne pas être étiqueté, Dadà touche à tout et s’essaie à la mode et même au cinéma classique, sans oublier de donner un coup de main à son père électricie­n. Toutes des profession­s qui, en Italie, garantisse­nt un meilleur avenir que celle de footballeu­r. D’ailleurs, l’US Arezzo sera bientôt le 54e club de Lega Pro à faire faillite.

«Je devais apprendre ce métier en côtoyant le meilleur de tous les temps. C’est comme être entraîné par Maradona!»

DAVIDE IOVINELLA, FOOTBALLEU­R ET ACTEUR PORNO

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(INSTAGRAM) «Rocco Siffredi me répète que j’ai un sacré potentiel, il me fait même tourner dans sa boîte de production.»

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