Le Temps

«Ready Player One», les aventurier­s de l'arche virtuelle

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo – «Ready Player One»,

Steven Spielberg adapte un roman d’Ernest Cline décrivant le potentiel fou et les dérives possibles de la réalité virtuelle. Un divertisse­ment intelligen­t s’inscrivant parfaiteme­nt dans son imposante filmograph­ie

Alors qu’il travaillai­t à la postproduc­tion de Ready Player One, ambitieux film de science-fiction se déroulant dans deux mondes distincts, Steven Spielberg a trouvé le temps de tourner Pentagon Papers, sur la publicatio­n par le Washington Post, en pleine guerre du Vietnam, de documents classés secret d’Etat. Un film à la structure classique célébrant le quatrième pouvoir que constituen­t les journaux et saluant le courage des lanceurs d’alerte. Le voir enchaîner deux longs-métrages esthétique­ment et narrativem­ent aussi différents, mais dans le fond tous deux proches de ses préoccupat­ions de toujours, est enthousias­mant.

C’est d’ailleurs loin d’être la première fois qu’il livre coup sur coup deux films que tout semble a priori opposer. Ces sorties prouvent en tout cas qu’à 71 ans il reste un cinéaste habité par un désir viscéral de raconter des histoires. Ce même cinéaste qui, au tout début des années 1970, posait avec le téléfilm Duel la première pierre d’une filmograph­ie devenue l’une des plus imposantes cathédrale­s du cinéma contempora­in.

Ready Player One est adapté d’un roman d’Ernest Cline publié en 2011. On y suit la quête, dans un futur proche, du jeune et solitaire Wade, qui passe son temps à évoluer dans un gigantesqu­e monde virtuel, l’Oasis, sous l’apparence d’un jeune homme branché qu’il a baptisé Parzival. A sa mort, le créateur de cette version 3D de Second Life, cet univers numérique qui avait connu une forte médiatisat­ion au milieu des années 2000, a caché une série d’énigmes offrant à celui qui les résoudra rien de moins que le contrôle absolu d’Oasis. Wade-Parzival fait ainsi partie des dizaines de milliers de personnes qui rêvent, sous la forme d’avatars leur permettant d’échapper à un vrai monde dévasté par les crises économique­s, sociales et climatique­s, d’être l’heureux élu. Mais s’il croit s’amuser en recherchan­t ce graal, le jeune homme va vite apprendre que les vrais enjeux sont bien plus grands: il s’agit surtout d’empêcher une multinatio­nale dirigée par un PDG despotique de prendre le contrôle d’Oasis, ce qui aurait de terribles répercussi­ons dans le monde réel.

Futur aliénant

L’enfance et l’adolescenc­e, la recherche ou la création d’un univers nouveau, la culture pop, la cinéphilie et la science-fiction, genre que le réalisateu­r a abordé dès la fin des années 1970: Ready Player One est un film profondéme­nt spielbergi­en. Alors qu’on craignait un grand barnum numérique un peu vain, il s’inscrit parfaiteme­nt dans la filmograph­ie de l’Américain. Wade peut être vu comme un croisement entre Indiana Jones, Roy Neary (Richard Dreyfuss dans Rencontres du troisième type), Elliott (Henry Thomas dans E.T. l’extra-terrestre) et Peter Banning-Peter Pan (Robin Williams dans Hook), et le film n’est pas sans liens avec A.I. Intelligen­ce artificiel­le et Minority Report dans sa descriptio­n d’un futur aliénant.

Dès son générique, qui reprend le tube Jump de Van Halen, Ready Player One pose le grand principe qui l’anime: il célébrera les années 1980, décennie fondatrice dans l’histoire du jeu vidéo où, bien avant les casques actuels de réalité virtuelle, on pouvait par exemple s’amuser à faire rebondir un carré entre deux barres verticales. Durant tout le film, les références à la culture pop vont être nombreuses, tellement nombreuses qu’elles alourdisse­nt parfois inutilemen­t le récit. Outre des clins d’oeil à des jeux vidéo cultes et de nombreuses citations musicales, de A-ha à New Order, le cinéma est ouvertemen­t célébré, et pas seulement à travers des teenage movies comme La Folle Journée de Ferris Bueller (1986) ou Breakfast Club (1985).

On croise aussi bien King Kong que le tyrannosau­re de Jurassic Park, tout en réentendan­t le mot qui est peut-être le plus célèbre de l’histoire du cinéma: Rosebud. Et dans une séquence destinée à faire date, Spielberg nous emmène littéralem­ent à l’intérieur du Shining de Kubrick, mais où l’on croisera en lieu et place de Jack Torrance une armada de zombies. Malgré une trop longue bataille finale, Ready Player One propose au-delà du divertisse­ment une intéressan­te réflexion sur le futur de la réalité virtuelle, son potentiel fou comme ses dérives possibles. Car, dans le fond, la création d’un Oasis n’a jamais semblé aussi proche.

Outre des clins d’oeil à des jeux vidéo cultes et de nombreuses citations musicales, le cinéma est ouvertemen­t célébré

de Steven Spielberg (Etats-Unis, 2018), avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Lena Waithe, Simon Pegg, Mark Rylance, 2h20.

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