Le Temps

Nectome promet l’immortalit­é numérique

- JÉRÔME MARIN, SAN FRANCISCO @JeromeMari­nSF

La start-up américaine veut préserver les cerveaux humains afin de télécharge­r leur contenu sur des ordinateur­s. Une promesse qui laisse sceptiques de nombreux scientifiq­ues

Accepterie­z-vous de mourir aujourd’hui pour une petite chance d’accéder à une immortalit­é numérique? Tel est le dilemme qu’espère bientôt proposer Nectome. Cette start-up américaine développe une technique de préservati­on du cerveau humain qui pourrait permettre de le numériser puis de télécharge­r son contenu sur un ordinateur ou sur robot.

Une condition toutefois: les futurs clients devront d’abord accepter d’être euthanasié­s. Pour éviter des dommages trop importants, la procédure suivie par Nectome, baptisée «vitrifixat­ion», nécessite en effet d’être effectuée sur un cerveau frais. Celle-ci passe par l’injection d’un liquide d’embaumemen­t dans les artères. Une étape «100% mortelle», ne cache pas Robert McIntyre, l’un des deux fondateurs de l’entreprise. «L’expérience sera identique à un suicide médicaleme­nt assisté», poursuit-il dans d’un entretien accordé au MIT Technology Review.

Nectome vise donc en priorité les malades en phase terminale. La société assure respecter la loi californie­nne sur le suicide assisté. Mais cette législatio­n, entrée en vigueur en 2016, n’avait pas prévu ce cas de figure. Déjà 25 clients potentiels sont inscrits sur la liste d’attente, dont Sam Altman, le jeune patron du célèbre incubateur de start-up Y Combinator, pourtant en bonne santé. Ces personnes ont versé un acompte de 10000 dollars mais pourront être remboursée­s si elles changent d’avis.

Le prix définitif n’a pas encore été défini.«Le potentiel commercial va être immense», anticipe déjà Robert McIntyre. Après avoir obtenu une subvention de près de 1 million de dollars de la part de l’Institut national sur les maladies mentales, Nectome espère surfer sur le rêve d’immortalit­é. Elle est à la recherche de nouveaux investisse­urs dans la Silicon Valley.

Puissance informatiq­ue trop faible

Fondée en 2016, la start-up n’a pas encore réalisé de tests sur une personne vivante. Mais elle met en avant plusieurs avancées significat­ives. Elle a d’abord préservé un cerveau de lapin puis un cerveau de cochon, deux prouesses récompensé­es par un prix scientifiq­ue de la Brain Preservati­on Foundation. Le mois dernier, elle a également préservé le cerveau d’une femme décédée deux heures et demie plus tôt. Pour autant, sa promesse suscite le scepticism­e de nombreux scientifiq­ues. Nectome indique qu’elle compte reconstrui­re les souvenirs d’une personne

«La seule chose qui ne soit pas du vent, c’est qu’ils vont bien tuer des personnes» SAM GERSHMAN, PROFESSEUR À HARVARD

grâce à la conservati­on intacte du connectome, l’ensemble des connexions entre les neurones d’un cerveau. «Le connectome ne fournit pas assez d’informatio­ns pour créer une simulation d’un cerveau humain», rétorque Michael Hendricks, professeur à l’Université McGill à Montréal.Deuxième doute: la puissance informatiq­ue est aujourd’hui bien trop insuffisan­te. «Nous connaisson­s le connectome de certains vers depuis plus de dix ans et personne n’a encore réussi à reconstrui­re leurs souvenirs, souligne Sam Gershman, professeur à Harvard. Et il ne s’agit que de 7000 synapses, comparé à plusieurs milliers de milliards pour un cerveau humain.»

Démonstrat­ion espérée en 2024

Nectome reconnaît d’ailleurs que sa promesse ne pourra être tenue qu’en cas d’avancées technologi­ques importante­s. La société estime pouvoir réaliser une première démonstrat­ion en 2024. Et elle souligne que le temps ne presse pas: entreposés à une températur­e de -122 degrés, les cerveaux de ses clients pourront être conservés pendant des «centaines d’années».«La seule chose qui ne soit pas du vent, c’est qu’ils vont bien tuer des personnes», assène Sam Gershman. Son confrère Michael Hendricks est tout aussi critique, évoquant «un triste moyen de profiter des gens qui ont peur».

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