Le Temps

L’urgence de «réparer» Facebook

- JEAN ABBIATECI @JeanAbbiat­eci

Saga technologi­que de la semaine écoulée, l’affaire Cambridge Analytica pourrait inspirer à Netflix une brillante série politique. L’intrigue est palpitante: un (possible) coup d’Etat numérique au sein de la nation la plus puissante du monde. Les personnage­s sont solides: Steve Bannon, l’ombrageux Dark Vador de l’«alt-right», Robert Mercer, le financier secret qui rêve d’écrouler le système; Alexander Nix, le CEO adepte du chantage aux prostituée­s; Aleksandr Kogan, le scientifiq­ue russo-américain sans foi ni loi. Sans oublier Christophe­r Wylie, le lanceur d’alerte geek aux cheveux roses, et Mark Zuckerberg, le chevalier blanc déchu. La toile de fond de ce feuilleton, dans lequel s’est embourbé Facebook, est fascinante: l’extrême vulnérabil­ité de nos démocratie­s à la technologi­e, au travers de la pratique controvers­ée du profilage électoral. En connaissan­t très précisémen­t le profil d’une personne grâce aux informatio­ns glanées dans cette immense mine de données à ciel ouvert qu’est Facebook, il est possible d’influencer son opinion et son vote, via l’envoi de messages ultra-personnali­sés. Cette pratique a déjà été éprouvée dans le passé. Les républicai­ns n’ont d’ailleurs pas tardé à faire le parallèle avec la campagne de Barack Obama en 2012 et son applicatio­n Obama for America, téléchargé­e un million de fois et elle aussi peu soucieuse de la protection des données personnell­es. A l’époque, la presse avait salué la vision du stratège numérique démocrate. Cambridge Analytica ferait une excellente série dystopique, façon Black Mirror. Avec en filigrane ce questionne­ment ontologiqu­e: à quel point, nous électeurs, sommes-nous réductible­s à la somme de nos données personnell­es? La technologi­e nous dépouiller­a-t-elle de notre libre arbitre de citoyen? Le témoignage récent d’un ingénieur de Google, François Chollet, est à ce titre glaçant. En combinant les progrès de l’intelligen­ce artificiel­le avec l’immensité des données des réseaux sociaux, la création d’un logiciel capable de cerner notre psychologi­e, de se jouer de nos émotions pour in fine nous manipuler en masse n’est plus une chimère. L’esprit humain, s’effraie l’ingénieur, est un système statique et vulnérable qui, dans le futur, sera de plus en plus attaqué par des algorithme­s de plus en plus intelligen­ts, contre qui il sera difficile de lutter. Dès lors, qui pour reprendre le contrôle? Les Etats, malgré leur bonne volonté, peinent à prendre la mesure de ces défis numériques, comme le montre la lutte kafkaïenne contre les fake news. Les internaute­s, au travers de l’arme du boycott? Cinq ans plus tard, l’indignatio­n née des révélation­s Snowden sur la surveillan­ce de masse est retombée. Facebook lui-même? L’entreprise semble dépassée par sa créature. La solution pourrait venir des ingénieurs de la Silicon Valley, de plus en plus nombreux à faire leur mea culpa et à alerter l’opinion publique. Le temps presse: il y a urgence, selon l’expression de Mark Zuckerberg, à «réparer» Facebook et, avec lui, tout un écosystème.

L’esprit humain sera de plus en plus attaqué

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