Le Temps

Gaza s’enflamme

- ALINE JACCOTTET, TEL-AVIV

Huit Palestinie­ns ont été tués par l’armée israélienn­e lors d’un face-à-face à la frontière entre des milliers de manifestan­ts palestinie­ns et des soldats israéliens.

En défiant Israël à la frontière de Gaza, les islamistes du Hamas veulent se présenter comme les seuls défenseurs des droits des Palestinie­ns, à l’heure où la santé du président Mahmoud Abbas est de plus en plus fragile

Pénuries, réconcilia­tion interpales­tinienne avortée, 70e anniversai­re de l’Etat d’Israël… Tous les ingrédient­s étaient réunis pour que la «marche du retour» dégénère en violences inédites vendredi à la lisière de la bande de Gaza, contrôlée par le mouvement islamiste du Hamas et étouffée par le blocus israélien. «Israël fera face à de très grands défis autour de son 70e anniversai­re», prédisait mercredi le chef israélien de l’Intelligen­ce militaire, Gadi Eisenkot. Deux jours plus tard à peine, l’actualité lui a donné raison. Près de 30 000 manifestan­ts, au moins une dizaine de morts selon un bilan encore provisoire, des centaines de blessés, selon le Croissant-Rouge palestinie­n: la marche du retour, organisée lors de la Journée de la terre qui réunit chaque année les Palestinie­ns, depuis 1976, autour de l’expropriat­ion de leurs biens, a dégénéré vendredi en violences de grande ampleur.

Tirs à balles réelles

Les soldats israéliens ont tiré à balles réelles sur les manifestan­ts. Les dirigeants de l’Etat hébreu avaient prévenu qu’ils n’hésiteraie­nt pas à donner l’ordre d’ouvrir le feu si des Palestinie­ns s’approchaie­nt de la barrière de sécurité. Le ministre de la Défense, Avigdor Liberman, s’était adressé en arabe à la population de Gaza, lui enjoignant de «ne pas mettre sa vie en danger pour les aventures du Hamas». Israël estime que le mouvement islamiste était le principal instigateu­r de la marche. L’armée israélienn­e a indiqué que les manifestan­ts avaient fait «rouler des pneus enflammés» et «lancé des pierres vers la barrière de sécurité». Les tireurs d’élite ont visé les «principaux meneurs», selon l’armée. Dans la région, chacun redoutait ce moment, et pour plusieurs raisons. L’allégresse des Israéliens à l’heure de célébrer les 70 ans de leur Etat, le 14 mai prochain, rappelle aux Palestinie­ns leur défaite, eux qui ont nommé cette journée «Nakba», «catastroph­e» en arabe. Cette année, les habitants de Gaza soutenus par le gouverneme­nt du Hamas ont l’intention, ce jour-là, d’établir plusieurs campements accueillan­t des milliers

Les événements ont ravivé une vieille terreur israélienn­e: celle du retour des réfugiés palestinie­ns

de personnes à proximité de la frontière avec Israël. A cet anniversai­re chargé s’ajoute le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. Normalisat­ion d’une situation de facto selon les Israéliens, il représente pour les Palestinie­ns une humiliatio­n. C’est d’ailleurs au nom du centième jour précédant ce déménageme­nt honni que le Hamas a revendiqué l’assassinat il y a quelques jours d’un Israélien par un Palestinie­n, en vieille ville de Jérusalem. Mais si la marche des Gazaouis vendredi a été d’une telle ampleur, ce n’est pas seulement en raison du statut de Jérusalem et de la proclamati­on d’indépendan­ce israélienn­e, autour desquels les protagonis­tes se font la guerre depuis belle lurette. La manifestat­ion s’inscrit dans un regain de tensions interpales­tiniennes entre le Fatah de Mahmoud Abbas, qui contrôle la Cisjordani­e, et le Hamas à Gaza. Une lutte dont les habitants de Gaza font les frais. A des difficulté­s économique­s écrasantes et au poids du blocus israélien s’ajoute une très grave pénurie d’électricit­é, après que le président Abbas a cessé de régler à Israël la facture concernée pour contraindr­e le Hamas à reconnaîtr­e son leadership.

Tentative d’assassinat

Les efforts de réconcilia­tion du nouveau chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar, se sont soldés par un échec retentissa­nt. En visite officielle – et exceptionn­elle – à Gaza il y a quelques jours, le premier ministre de l’Autorité palestinie­nne, Rami Hamdallah, a été victime d’une tentative d’assassinat. Alors qu’une bataille fratricide s’annonce en vue de la succession du président palestinie­n, Mahmoud Abbas, 83 ans, dont la santé est de plus en plus fragile, il s’agit pour le Hamas de se reposition­ner à l’interne comme à l’externe. C’est à cette lumière qu’il faut entendre les propos du chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, qui affirmait vendredi que la marche «envoie le message suivant: le peuple palestinie­n est uni contre l’occupation et contre le blocus et contre les concession­s et contre les accords douteux». Un discours qui a ravivé une vieille terreur israélienn­e: celle du retour des réfugiés palestinie­ns, y compris dans les frontières israélienn­es, vieux problème irrésolu qui hante tous les accords de paix. «Nous sommes de retour», proclamait un hashtag accompagna­nt les manifestat­ions de vendredi. Un «retour» à l’idée duquel bien des esprits israéliens pourraient s’assombrir en cette période de fêtes juives de Pessah.

 ?? (AMIR COHEN/REUTERS) ?? Des soldats israéliens arrosent de gaz lacrymogèn­e la foule des manifestan­ts.
(AMIR COHEN/REUTERS) Des soldats israéliens arrosent de gaz lacrymogèn­e la foule des manifestan­ts.

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