Le Temps

La «maltraitan­ce ordinaire» des EMS

Le traitement «révoltant» des personnes âgées dans les établissem­ents médico-sociaux vaudois a poussé une assistante en soins à démissionn­er. Elle dénonce aujourd’hui le manque d’égards et la maltraitan­ce que vivent les pensionnai­res

- AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

Amandine De Dea a travaillé pendant dix ans dans différents EMS vaudois. Excédée par le traitement «révoltant» réservé aux personnes âgées, elle a décidé de rendre son tablier. Et livre son témoignage.

Amandine De Dea est assistante en soins. Cette jeune femme de 30 ans a travaillé dans sept différents EMS vaudois au cours des dix dernières années. Lorsqu’elle a rendu son tablier il y a quelques semaines, c’est parce que quelque chose s’était brisé. Cette fois, elle a renoncé à retenter l’expérience en espérant qu’ailleurs, ce serait mieux. L'article qui suit est issu d'un témoignage individuel, basé sur une expérience personnell­e. A ce titre, il nous a paru suffisamme­nt fort pour être publié. «Lors de ma formation en école de soins et santé communauta­ire, nous étions toutes tellement motivées à travailler avec les personnes âgées et, aujourd’hui, la majorité d’entre nous a changé de voie. Pas que nous ne les aimions plus, bien au contraire, mais il existe un réel problème avec le traitement de cette population», commence Amandine. Le problème, connu de tous, tient aux effectifs insuffisan­ts. De là découlent le manque de temps pour effectuer les soins et autres tâches, l’épuisement des équipes soignantes et la rancoeur qu’elles en retirent. Amandine De Dea dénonce les attitudes «négligente­s, brusques et amères» envers les résidents des EMS, «le manque d’égards général et la manière dont se déroulent l’habillemen­t, la toilette et les repas, dans l’empresseme­nt». «Il me semble impossible de garder l’amour de son métier dans ces conditions», regrette-t-elle.

Même pas «bonjour»

Amandine est traumatisé­e par la «déshumanis­ation» des personnes âgées. «Comme tout est une question de temps, mieux vaut faire à leur place que de les motiver», regrette-t-elle. Amandine a vu des soignants réveiller des personnes âgées en allumant la lumière et en tirant leur duvet, sans dire un mot, pas même bonjour. Face au refus de prendre leurs médicament­s, certains résidents se sont vu boucher le nez afin d’être obligés d’ouvrir la bouche. Elle a aussi assisté à des cas de contention médicament­euse: les pensionnai­res trop actifs se faisaient administre­r des calmants pour soulager l’équipe, qui n’avait pas le temps de prendre soin d’eux. Dans chaque service, à chaque étage, les pensionnai­res qui demandent le plus de soins sont couchés dès 16h jusqu’à 9h ou 10h le lendemain matin, et «oubliés» durant dix-sept heures. Le soir, Amandine avait dix minutes pour coucher un patient. Combien de fois a-t-elle vu ses collègues «jeter le résident sur son lit et le déshabille­r en retirant d’un seul geste pull, chemise et dessous d’une manière brusque», ou les mettre au lit sans prendre soin de leur laver les dents, ni même de changer leur couche? Elle ne compte plus. «Un jour, on s’est moqué de moi car j’ai voulu rincer la bouche d’une personne qui n’avait plus de dents.»

«Elles ont l’impression de déranger en restant en vie»

La maltraitan­ce par la parole fait partie des choses qui l’ont le plus marquée. «Face aux remarques dégradante­s et insécurisa­ntes, les personnes âgées se font toutes petites. Elles s’excusent d’avoir besoin d’aller aux toilettes, elles ont l’impression de déranger en restant en vie. Lorsque j’ai pris vingt minutes pour faire manger une résidente, on m’a reproché de passer trop de temps avec elle et on m’a fait cette remarque: «Tu penses que tu vas la ressuscite­r?» Ces institutio­ns ne sont pas pensées pour mettre les pensionnai­res au centre, affirme Amandine, leurs structures écrasent la personne âgée. Tout est fait pour que le bon déroulemen­t du planning ne soit pas entravé. Amandine ne cherche pas à dénoncer un établissem­ent en particulie­r, «même si certains sont particuliè­rement choquants». «Je préfère dénoncer les dérives générales que j’ai rencontrée­s dans les lieux où j’ai travaillé, et je peux assurer que chacun d’entre eux manquait d’humanité.» La jeune femme pense que l’avenir pour les personnes âgées se fera dans de petites structures, de 5 à 10 lits. Aujourd’hui elle part, déçue, mais continue à le dire: «J’aime le sens de mon métier.»

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(EDDY MOTTAZ) Amandine De Dea dénonce les attitudes «négligente­s, brusques et amères» envers les résidents des EMS.

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