Qu’est-ce qui attend Pierin Vincenz?
Que risque Pierin Vincenz, l’ancien dirigeant de la banque Raiffeisen, soupçonné de gestion déloyale? Et qu’en est-il des autres acteurs de cette affaire? Beaucoup de points restent en suspens
L’ancien patron de la banque Raiffeisen est toujours en détention pour des soupçons de gestion déloyale. Quelles sont les possibles évolutions de l’affaire? Tour d’horizon.
Sortira, sortira pas? Arrêté fin février en raison de soupçons de gestion déloyale, Pierin Vincenz se trouve toujours en détention provisoire, un mois plus tard. Selon le Tages-Anzeiger, le séjour de l’ancien directeur général de Raiffeisen devait pourtant se terminer juste avant Pâques, les enquêteurs ayant terminé les interrogatoires. Information confirmée par aucune des parties.
Le Ministère public zurichois ne dit d’ailleurs pas pourquoi il a voulu maintenir l’ex-banquier sous les verrous aussi longtemps. Il peut le justifier soit par le risque de fuite, soit par celui de collusion. Or, d’après l’avocat et professeur Carlo Lombardini, «ce traitement semble particulièrement dur» au vu de ce qui semble lui être reproché.
Des années de procédure?
Le Grison est soupçonné de conflit d’intérêts. Il aurait notamment été des deux côtés de la table des négociations lors du rachat de CommCard par Aduno (société financière en partie détenue par Raiffeisen et où il était administrateur). Il n’aurait pas mentionné qu’il était déjà actionnaire de CommCard. L’enquête a été ouverte à la suite d’une plainte pénale d’Aduno, suivie d’une autre par Raiffeisen.
Libéré ou non, cela ne changerait rien, d’après le Tages-Anzeiger, aux soupçons que la justice zurichoise a développé à son égard. Et «toute la procédure peut durer des années», poursuit Carlo Lombardini. D’autant que la définition de la gestion déloyale ne semble pas aussi limpide ici que chez les Anglo-Saxons, par exemple. «La Suisse a montré une sensibilité moindre au devoir de loyauté. Cela se voit aussi dans le traitement du délit d’initié. Alors que les AngloSaxons le combattent depuis les années 1960, la Suisse n’a pas vraiment vu le problème jusque dans les années 1990, et c’est seulement à partir des années 2000 qu’elle s’est vraiment attaquée à la question», explique Luc Thévenoz, professeur de droit bancaire à Genève. Ainsi, dans ces pays, poursuit Luc Thévenoz, si Pierin Vincenz était vraiment des deux côtés de la table des négociations, c’est une faute, même si aucune des parties n’a subi un préjudice.
Des questions sur ses proches
Au-delà du cas de Pierin Vincenz lui-même, d’autres questions restent en suspens. Notamment sur ses proches. En fin de semaine dernière, Raiffeisen a dissipé les derniers doutes qui pouvaient subsister sur le statut de Nadja Ceregato, épouse de Pierin Vincenz et responsable juridique de la banque pendant plusieurs années. En congé sabbatique depuis l’automne, elle ne reviendra plus dans la banque coopérative: «Les nouvelles informations autour de Pierin Vincenz ont changé la donne de départ concernant Nadja Ceregato, a expliqué une porte-parole à l’ATS. Il n’est ni dans son intérêt ni dans le nôtre qu’elle retourne chez Raiffeisen.» Si la banque dit ne pas la soupçonner, même si son double rôle suscite encore des interrogations dans la communauté financière.
Peter V. Kunz, professeur à l’Université de Berne, se montre moins critique sur le rôle de Nadja Ceregato: «Ce n’est pas son erreur et, à ce stade, on ne voit rien qui puisse lui être reproché. Par contre, le conseil d’administration n’aurait pas dû accepter sa nomination. Et la Finma a également mal réagi.»
«Etrange» de ne pas savoir
Autre interrogation: comment ses proches collaborateurs pouvaient-ils tout ignorer? Il est «étrange», estime Peter V. Kunz, que Patrik Gisel, l’actuel directeur général de Raiffeisen, ancien protégé de Pierin Vincenz, n’ait rien su. Il estime qu’on en sait trop peu sur les faits pour lui reprocher quoi que ce soit. «Mais d’un point de vue de la gestion des affaires, il aurait dû être amené à se poser des questions.» En outre, d’après la presse alémanique, il est probable qu’il ait reçu un rapport dès la fin de 2016 lui donnant des informations sur l’affaire CommCard. Patrik Gisel a reçu le soutien du président du conseil, Johannes Rüegg-Stürm. Quelques jours avant que ce dernier ne démissionne avec effet immédiat.
L’attitude du conseil d’administration est aussi au centre des discussions. Peter V. Kunz se montre d’ailleurs sceptique à son égard, il lui apparaît «faible» et il manque de spécialistes, à son avis. Il n’est donc pas persuadé que l’organe a joué son rôle de surveillance comme il aurait dû le faire.
Enfin, si la Finma a mis fin à son enquête sur Pierin Vincenz, devenue caduque quand celui-ci a renoncé à son dernier mandat, elle n’a pas fini son investigation sur la banque elle-même. Cela devrait prendre encore quelques semaines.
Il est «étrange» que Patrik Gisel, actuel directeur général de Raiffeisen et ancien protégé de Pierin Vincenz, n’ait rien su, selon le professeur Peter V. Kunz