Les cantons nous ennuient
Insensiblement, insidieusement, la Suisse s’habitue à l’effacement de la politique régionale ou cantonale. A son remplacement par la gestion administrative. Grise. Comme si désormais le seul vrai pouvoir, celui qui décide de notre quotidien, se concentrait dans la Berne fédérale. Ainsi, dimanche dernier, sept électeurs sur dix ont boudé les urnes dans le canton de Berne, se désintéressant totalement du renouvellement des autorités cantonales, Grand Conseil et gouvernement. Avec 29,5% de participation pour l’élection du Conseil-exécutif, c’est, après les 28% de 2002, le deuxième plus mauvais résultat enregistré dans toute l’histoire du grand canton. Dans l’arrondissement de Bienne, c’est même tout juste 24%. Berne détient peut-être le record de l’abstentionnisme lors des élections cantonales, mais Zurich, Bâle-Campagne, Glaris, Thurgovie, Neuchâtel ou Argovie n’ont guère fait mieux ces trois dernières années. Dans tous les cantons, le désintérêt des électrices et électeurs s’aggrave d’élection en élection depuis une vingtaine d’années. Seuls quelques-uns à l’identité très forte, comme le Tessin, le Valais, le Jura et Nidwald avec Obwald, dépassent encore la barre des 50%. Manque de charisme du personnel politique local, faiblesse des enjeux, nuances imperceptibles entre des programmes politiques abstraits, tout cela ne suscite que des campagnes mornes. Dans une sorte de fatalisme. Les seuls frémissements de la campagne bernoise sont venus de la tentative d’éviction du candidat UDC Pierre Alain Schnegg dans les villes en raison de son programme social drastique. Les électrices et électeurs nourrissent le sentiment que la situation financière, la Confédération et les concordats intercantonaux ne laissent à leurs élus qu’une très faible marge de décision. Alors que, dans tous les cantons, la participation aux élections fédérales de 2015 approchait ou dépassait les 50%. Autre phénomène: la plus grande mobilité des Suisses. On habite dans un canton, on travaille dans un autre, on déménage souvent dans une carrière professionnelle. D’où une distance émotionnelle et identitaire avec son environnement politique. Ce nomadisme caractérise particulièrement les agglomérations du Plateau suisse. Enfin, le politologue Claude Longchamp pense que si les jeunes de 18 ans se rendent aux urnes ou envoient leur enveloppe électorale pour inaugurer leur nouveau droit de vote, il estime par contre que les plus de 22 ans ne sont que 10 à 15% à le faire, contre 45% des plus de 75 ans. D’où une frustration rapide de ces tranches d’âge dont les aspirations pèsent peu dans les débats. Peut-on, à 20 ans, se sentir représenté par un personnel politique inamovible? Ce déséquilibre dans la représentation de tout un pan de la société contribue largement au discrédit de l’idée politique comme à la désaffection envers l’intérêt général. Dès lors, comment relancer l’intérêt pour la politique régionale et cantonale auprès des nouveaux électeurs? Une plus forte utilisation des réseaux sociaux par les partis, avec des modes de débats propres à ce type de médias, l’introduction du vote électronique peuvent certes y contribuer. Encore faut-il du contenu, des sujets à débattre, des choix à opposer, des personnalités à confronter. Car face à des choix concrets, comme l’assurance pour les soins dentaires, ce sont 55,6% des électrices et électeurs vaudois qui votent. La démocratie ne s’use pas lorsque l’on s’en sert.