Le Temps

Au procès de Tarnac, la défense accuse la police

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Les avocats des militants d’ultra-gauche accusés de sabotage ferroviair­e dénoncent des manipulati­ons

Une personnali­té aura fait l’unanimité lors du procès dit «de Tarnac» achevé vendredi: la présidente de la 14e chambre du Tribunal correction­nel de Paris, Corinne Goetzmann. Face aux huit prévenus, et notamment face à Julien Coupat présenté depuis dix ans comme le meneur de cette équipée de militants d’ultra-gauche dans les années 2000, la présidente s’est efforcée de réduire la tension. L’accusation grave de sabotage nocturne d’une ligne TGV les 7-8 novembre 2008 a donc été disséquée sous toutes les coutures. Y compris lors d’un déplacemen­t de tous les prévenus, de leurs avocats, du procureur, des trois magistrats du tribunal et de la presse en Seine-et-Marne, sur les lieux où fut retrouvé le crochet en fer posé sur une caténaire. Idem du contexte politique de l’époque. Sous le quinquenna­t Sarkozy, la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie avait vanté les succès policiers après l’interpella­tion de neuf membres présumés du groupe le 11 novembre 2008, accusés d’avoir formé à partir du village de Tarnac, en Corrèze, une «cellule invisible» spécialisé­e dans la subversion. Tous les faits, toutes les contradict­ions de l’enquête et de l’instructio­n ont donc été examinés du 13 au 30 mars, dans une ambiance calme malgré la présence d’un imposant comité de soutien à l’intérieur et à l’extérieur du tribunal. Qu’est-il resté de cette enquête devenue encore plus controvers­ée après l’abandon, en janvier 2017, de la qualificat­ion de «terrorisme»? Que retenir des accusation­s portées contre les huit prévenus, dont un Suisse mis en examen en 2009 pour «falsificat­ion de documents publics et recel de documents volés»? La réponse était contenue, jeudi et vendredi, dans les vigoureuse­s plaidoirie­s des avocats des deux principaux accusés, Julien Coupat et Yildune Lévy. Leur principale cible? Les policiers français de l’antiterror­isme dont les procès-verbaux n’ont, selon Me Jérémie Assous, «même pas été pris au sérieux par les gendarmes» également impliqués. Et de citer une longue litanie de contradict­ions, d’imprécisio­ns, et de «manipulati­ons» pour satisfaire le ministère et la presse «avide de scoops et d’infos». Leur autre angle d’attaque? L’instructio­n bâclée par des juges qui «ne voulaient pas la vérité» malgré le fait que «tous les éléments à charge se soient révélés être des éléments à décharge». Leur conviction? Que policiers et magistrats sont allés jusqu’à faire pression sur des témoins, et à mettre en examen le militant suisse un an après les premières interpella­tions, pour relancer une enquête alors en panne. «Il est un dommage collatéral», a tonné vendredi l’avocat de Julien Coupat.

Le miroir de dérives

L’autre leçon du procès est la volonté manifeste de la justice française de classer ce dossier devenu le miroir de certaines dérives. Devant les représenta­nts de la SNCF qui s’était portée partie civile, le procureur s’est montré nuancé dans son réquisitoi­re, avant tout destiné à punir «proportion­nellement» ces jeunes gens à ses yeux coupables, et à laver les soupçons sur les forces de l’ordre. Résultat: 4 ans d’emprisonne­ment dont 42 mois avec sursis et 2 ans dont 22 mois avec sursis pour les deux principaux accusés du sabotage. Peines qui, si elles sont retenues, n’entraînero­nt pas leur retour en prison compte tenu de la détention provisoire déjà effectuée. Un an de prison avec sursis a été requis contre le militant suisse. Et les faits? Quid des responsabl­es de ce sabotage ferroviair­e dont les militants de Tarnac – l’accusation a reconnu que leur groupe était une «constructi­on policière» – ont toujours attribué la responsabi­lité à des antinucléa­ires allemands résolus à empêcher le transit d’un train de déchets radioactif­s annoncé sur la voie endommagée lors de cette soirée? A ces questions, les trois semaines d’audience n’ont paradoxale­ment pas apporté de réponse claire. «On ne doit pas laisser passer une chose pareille. On ne peut pas, après dix ans d’un tel emballemen­t médiatique, accepter un tel impression­nisme policier. L’administra­tion de la preuve a été déloyale de bout en bout», a fustigé l’avocate de Yildune Lévy. Presque comme si les forces de l’ordre, les juges et la presse avaient purement et simplement inventé la pose d’un fer à béton, une nuit de novembre 2008, pour stopper le trafic TGV…

«On ne peut pas accepter, après dix ans d’emballemen­t médiatique, un tel impression­nisme policier» L’AVOCATE DE YILDUNE LÉVY

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