A Neuchâtel, les médecins montent au front
Le personnel soignant est sorti de son devoir de réserve pour dénoncer le projet de réforme hospitalière du Conseil d’Etat, qui met en péril, selon lui, la qualité des soins. Une mobilisation sans précédent
Le ton est alarmiste, la mobilisation sans précédent. Une cinquantaine de cadres médico-soignants de l’Hôpital neuchâtelois (HNE) ont présenté ce jeudi une lettre ouverte. Signée par 150 d’entre eux, elle exhorte les députés à rejeter «sans équivoque» la réforme proposée par le Conseil d’Etat en vue de l’application de l’initiative «Pour deux hôpitaux sûrs, autonomes et complémentaires», acceptée en février 2017. Dans une ambiance très émotionnelle, face à la presse, l’impressionnante délégation a tiré la sonnette d’alarme. Selon les signataires, issus de tous les sites de l’hôpital cantonal, le projet soumis au Grand Conseil conduira tout simplement à une importante perte de la qualité des soins et mettra à mal la sécurité sanitaire du canton. Un risque majeur qui justifie cette spectaculaire rupture du devoir de réserve. «Nous ne sommes ni des anti-démocratiques ni des technocrates, justifie Vincent Della Santa, médecin-chef du département des urgences. Nous voulons juste dire que nous sommes en train de foncer dans le mur, et que c’est le dernier moment pour freiner.»
Aussi ambitieux que risqué
Pour rappel, lundi, le Conseil d’Etat neuchâtelois a rendu public son projet de réforme hospitalière. Répondant aux souhaits des initiants, le gouvernement a présenté, contre sa volonté, un plan aussi ambitieux que risqué, prévoyant la séparation de l’HNE en trois sociétés anonymes distinctes: deux dédiées aux soins aigus (Hôpital des Montagnes neuchâteloises et Hôpital du Littoral neuchâtelois), ainsi qu’une SA qui réunira la réadaptation et les soins palliatifs. Pour le corps médical neuchâtelois, ce démantèlement est une aberration. «En particulier dans un contexte où l’ensemble du système hospitalier suisse est soumis à une importante pression et doit faire face aux problématiques du financement de la santé et du vieillissement de la population», relève Yolanda Espolio Desbaillet, médecin-cheffe du département de gériatrie, réadaptation et soins palliatifs. Les craintes des médecins sont d'abord d’ordre financier. La phrase préparatoire du divorce coûtera à elle seule 4,4 millions de francs, selon le rapport du Conseil d’Etat. Pour les signataires, la complexité du processus va aboutir à «la création de nombreux postes administratifs au détriment de postes de soignants». De plus, le surcoût occasionné par les doublons est estimé entre 15 et 20 millions par année. Ces nouvelles dépenses sont inutiles, selon Marc-Olivier Sauvain, médecin adjoint au département de chirurgie: «Il est insensé de vouloir conserver deux blocs opératoires ouverts 24 heures sur 24 à seulement 20 kilomètres de distance [à Neuchâtel et à La Chauxde-Fonds, ndlr] dans un canton où il y a, en moyenne, moins d’une opération urgente à faire par nuit.»
«Une dispersion des patients et des compétences médicales entre plusieurs entités ne peut que faire baisser la qualité de la prise en charge» PELAGIA TSOUTSOU, MÉDECIN-CHEFFE DU SERVICE DE RADIOTHÉRAPIE AU DÉPARTEMENT D’ONCOLOGIE
Surtout, les soignants ont peur que la dissolution de l’HNE implique une perte de masse critique, qui au final fera perdre des missions de formation, réduira l’attractivité des sites et posera des difficultés de recrutement. «Une dispersion des patients et des compétences médicales entre plusieurs entités ne peut que faire baisser la qualité de la prise en charge», assure Pelagia Tsoutsou, médecin-cheffe du service de radiothérapie au département d’oncologie.
Dilemme pour le Grand Conseil
La levée de boucliers du personnel de l’HNE va encore davantage compliquer les débats du Grand Conseil, qui devra se prononcer sur le rapport d’ici cet été. Les députés font face à un dilemme. S’ils refusent ce projet, aboutissement d’une initiative populaire, ils provoquent une crise institutionnelle. S’ils l’acceptent, vu les oppositions, le projet sera combattu en référendum, un scrutin qui divisera de nouveau le canton. Face à cette crise qui paralyse Neuchâtel depuis de nombreux mois, les médecins appellent aujourd’hui les politiciens à réfléchir à une autre solution. «Jusqu’ici, dans le débat, on a opposé soins de proximité et soins de prestige, conclut Yolanda Espolio Desbaillet. Alors que l’enjeu est le maintien de la qualité et de la sécurité des soins dans ce canton.»