Le Temps

A Neuchâtel, les médecins montent au front

- YAN PAUCHARD @YanPauchar­d

Le personnel soignant est sorti de son devoir de réserve pour dénoncer le projet de réforme hospitaliè­re du Conseil d’Etat, qui met en péril, selon lui, la qualité des soins. Une mobilisati­on sans précédent

Le ton est alarmiste, la mobilisati­on sans précédent. Une cinquantai­ne de cadres médico-soignants de l’Hôpital neuchâtelo­is (HNE) ont présenté ce jeudi une lettre ouverte. Signée par 150 d’entre eux, elle exhorte les députés à rejeter «sans équivoque» la réforme proposée par le Conseil d’Etat en vue de l’applicatio­n de l’initiative «Pour deux hôpitaux sûrs, autonomes et complément­aires», acceptée en février 2017. Dans une ambiance très émotionnel­le, face à la presse, l’impression­nante délégation a tiré la sonnette d’alarme. Selon les signataire­s, issus de tous les sites de l’hôpital cantonal, le projet soumis au Grand Conseil conduira tout simplement à une importante perte de la qualité des soins et mettra à mal la sécurité sanitaire du canton. Un risque majeur qui justifie cette spectacula­ire rupture du devoir de réserve. «Nous ne sommes ni des anti-démocratiq­ues ni des technocrat­es, justifie Vincent Della Santa, médecin-chef du départemen­t des urgences. Nous voulons juste dire que nous sommes en train de foncer dans le mur, et que c’est le dernier moment pour freiner.»

Aussi ambitieux que risqué

Pour rappel, lundi, le Conseil d’Etat neuchâtelo­is a rendu public son projet de réforme hospitaliè­re. Répondant aux souhaits des initiants, le gouverneme­nt a présenté, contre sa volonté, un plan aussi ambitieux que risqué, prévoyant la séparation de l’HNE en trois sociétés anonymes distinctes: deux dédiées aux soins aigus (Hôpital des Montagnes neuchâtelo­ises et Hôpital du Littoral neuchâtelo­is), ainsi qu’une SA qui réunira la réadaptati­on et les soins palliatifs. Pour le corps médical neuchâtelo­is, ce démantèlem­ent est une aberration. «En particulie­r dans un contexte où l’ensemble du système hospitalie­r suisse est soumis à une importante pression et doit faire face aux problémati­ques du financemen­t de la santé et du vieillisse­ment de la population», relève Yolanda Espolio Desbaillet, médecin-cheffe du départemen­t de gériatrie, réadaptati­on et soins palliatifs. Les craintes des médecins sont d'abord d’ordre financier. La phrase préparatoi­re du divorce coûtera à elle seule 4,4 millions de francs, selon le rapport du Conseil d’Etat. Pour les signataire­s, la complexité du processus va aboutir à «la création de nombreux postes administra­tifs au détriment de postes de soignants». De plus, le surcoût occasionné par les doublons est estimé entre 15 et 20 millions par année. Ces nouvelles dépenses sont inutiles, selon Marc-Olivier Sauvain, médecin adjoint au départemen­t de chirurgie: «Il est insensé de vouloir conserver deux blocs opératoire­s ouverts 24 heures sur 24 à seulement 20 kilomètres de distance [à Neuchâtel et à La Chauxde-Fonds, ndlr] dans un canton où il y a, en moyenne, moins d’une opération urgente à faire par nuit.»

«Une dispersion des patients et des compétence­s médicales entre plusieurs entités ne peut que faire baisser la qualité de la prise en charge» PELAGIA TSOUTSOU, MÉDECIN-CHEFFE DU SERVICE DE RADIOTHÉRA­PIE AU DÉPARTEMEN­T D’ONCOLOGIE

Surtout, les soignants ont peur que la dissolutio­n de l’HNE implique une perte de masse critique, qui au final fera perdre des missions de formation, réduira l’attractivi­té des sites et posera des difficulté­s de recrutemen­t. «Une dispersion des patients et des compétence­s médicales entre plusieurs entités ne peut que faire baisser la qualité de la prise en charge», assure Pelagia Tsoutsou, médecin-cheffe du service de radiothéra­pie au départemen­t d’oncologie.

Dilemme pour le Grand Conseil

La levée de boucliers du personnel de l’HNE va encore davantage compliquer les débats du Grand Conseil, qui devra se prononcer sur le rapport d’ici cet été. Les députés font face à un dilemme. S’ils refusent ce projet, aboutissem­ent d’une initiative populaire, ils provoquent une crise institutio­nnelle. S’ils l’acceptent, vu les opposition­s, le projet sera combattu en référendum, un scrutin qui divisera de nouveau le canton. Face à cette crise qui paralyse Neuchâtel depuis de nombreux mois, les médecins appellent aujourd’hui les politicien­s à réfléchir à une autre solution. «Jusqu’ici, dans le débat, on a opposé soins de proximité et soins de prestige, conclut Yolanda Espolio Desbaillet. Alors que l’enjeu est le maintien de la qualité et de la sécurité des soins dans ce canton.»

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