Le sport en chambre a un bel avenir
A Genève, deux chambres à hypoxie viennent d’ouvrir, en attendant une troisième. On peut s’y entraîner dans un air aussi raréfié en oxygène qu’au sommet du Mont-Blanc. Une démarche en plein développement qui touche tous les sports
Genève, 375 mètres d’altitude. Même sous le stratus, la composition de l’air y est constante: 21% d’oxygène, 78% d’azote et 1% de gaz divers. Pour respirer un air moins riche en oxygène, et ainsi obliger leur corps à produire plus de globules rouges, les sportifs ont pris l’habitude depuis une cinquantaine d’années d’aller s’entraîner en altitude. La chronique évoque ainsi régulièrement le camp de Julien Wanders au Kenya, la préparation de Viktor Röthlin à Saint-Moritz ou le stage de l’équipe de France de football à Tignes avant la Coupe du monde. Tous viennent chercher à plus de 2000 m cette dette en oxygène que l’on trouve croissante en altitude et que les physiologistes désignent sous le terme d’hypoxie.
Depuis une vingtaine d’années, des méthodes ont été progressivement développées pour s’entraîner en hypoxie sans quitter la plaine: masques pour courir ou pédaler (en salle), tentes pour dormir et, plus récemment, chambre à hypoxie. Leur apparition, souvent tue, a suscité la controverse. Après en avoir débattu, le CIO a statué il y a quelques années et estimé que cette méthode n’était pas assimilable à du dopage.
Les chambres à hypoxie, qui ressemblent à de gros aquariums équipés d’un fitness, sont encore rares. Genève en compte désormais deux depuis la mi-mars, au Centre Sport Altitude d’Onex, et en aura bientôt trois avec celle de l’Hôpital de la Tour à Meyrin, prévue pour ce printemps.
Aussi utile avant des vacances à Cuzco
Elles seront ouvertes à tous les publics, sous contrôle médical et après une première séance avec un spécialiste de la physiologie de l’effort. Sur le site internet du Centre Sport Altitude, on peut lire: «Faites comme les sportifs de haut niveau: améliorez vos performances dans une salle en hypoxie avant la PDG [Patrouille des glaciers], l’UTMB [Ultra-Trail du Mont-Blanc], ou votre prochain tournoi de tennis. Préparez votre trekking ou votre ascension du Kilimandjaro en toute sécurité!»
«Un test à l’hypoxie peut être utile avant des vacances à Cuzco, précise la doctoresse Sandra Leal, médecin du sport et de la montagne, initiatrice du projet avec son associé, le docteur Emmanuel Cauchy. Tout le monde ne réagit pas de la même manière à l’altitude: un sportif entraîné peut ressentir le mal aigu des montagnes et un sédentaire ne pas être incommodé.»
«La grande salle sera souvent réglée à 2700 m, qui est l’altitude moyenne pour travailler en hypoxie. Dans la petite salle, ce sera plus variable; on peut la «monter» jusqu’à l’Everest!» souligne Emmanuel Cauchy, également guide de haute montagne. Onex, 8848 m. Plus globalement, le médecin espère que l’ouverture de ces deux salles permettra de développer la pratique du travail en hypoxie dans différents sports et pour des sportifs de différents niveaux. «Le fait de ne pas avoir à porter de masque libère le mouvement et permet des exercices plus compliqués, comme soulever des poids par exemple. C’est un environnement plus ludique, qui autorise le travail collectif, puisque l’on peut avoir jusqu’à dix personnes dans la grande salle. Et donc, s’il y a plus de monde, cela diminue les coûts.»
Le prix de lancement est de 50 francs la séance unique. Mais une séance seule ne sert à rien. Des «packs» aux noms évocateurs (Mont-Blanc, Kilimandjaro, Everest) sont proposés à des prix variant entre 300 et 700 francs.
L’ouverture du Centre Sport Altitude a été l’occasion d’une table ronde, lundi 26 mars, réunissant médecins de montagne, chercheurs en physiologie et sportifs de haut niveau. Tous y voient un outil précieux. «Depuis une dizaine d’années, les sports d’efforts intensifs et répétés, comme le football, le tennis, le basket, le rugby, utilisent ce procédé et ils vont le faire de plus en plus», prévient Grégoire Millet, physiologiste à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne, qui a notamment protocolé en 2015 la préparation en altitude de l’équipe de rugby du pays de Galles.
«Préparez votre ascension du Kilimandjaro en toute sécurité!» LE SITE INTERNET DU CENTRE SPORT ALTITUDE
Dormir haut et courir haut, dormir bas et courir bas
Erythréen d’origine, le marathonien Tadesse Abraham (7e aux Jeux de Rio) ne souffre pas du mal aigu des montagnes lorsqu’il rejoint son camp d’entraînement à 2500 m d’altitude. «J’ai grandi à 2400 m», sourit-il. S’entraîner en chambre lui permet d’aller moins souvent en Ethiopie et de passer plus de temps avec sa famille. «En revanche, en Ethiopie, je bénéficie de la présence d’un groupe d’entraînement. Il y a du pour et du contre.»
Tadesse Abraham explique également comment il change d’altitude en fonction du travail effectué: moins haut pour la vitesse, plus haut pour l’endurance. «Au fil des années, de multiples méthodes ont été privilégiées: dormir en haute altitude et s’entraîner plus bas, dormir en basse altitude et s’entraîner plus haut, dormir haut et courir haut, dormir bas et courir bas. Aujourd’hui, la tendance est de panacher les différentes approches pour cibler l’effet recherché en fonction du type d’effort», explique Grégoire Millet.
Les chambres à hypoxie genevoises intéressent également les professionnels de la santé. «L’entraînement hypoxique intermittent est moins traumatisant mais aussi plus efficace pour les personnes en surpoids», observe Davide Malatesta, physiologiste à l’Issul et spécialiste de l’obésité. Des effets bénéfiques sur les personnes âgées et les personnes en réadaptation vasculaire après un infarctus ont également été étudiés par la communauté scientifique. Autant de raisons de s’intéresser de près à ce qui va se passer désormais dans les nouvelles chambres à air du sport.
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