Le Temps

ET SI L’ANIMAL ÉTAIT LE FUTUR DE L’HOE?

- PAR GAUTHIER AMBRUS

Grâce à l’expériment­ation génétique, l’hybridatio­n homme/animal n’est peutêtre plus si lointaine. En 1911, Umberto Saba adressait à sa femme un poème d’amour, dans lequel il évoquait tous les animaux qu’il voyait en elle

Qui sait ce qu’il y a exactement tout au fond de son ADN? Le mystère risque de s’épaissir encore à l’avenir, vu les dernières avancées de la recherche biomédical­e. Car l’hybridatio­n homme/animal est semble-t-il en bonne voie. Un laboratoir­e californie­n vient de réussir à implanter dans un embryon de mouton un nombre de cellules humaines en quantité bien supérieure à tout ce qui avait été tenté jusqu’ici.

Les intentions sont louables, soit dit en passant, puisqu’il s’agit de parvenir un jour à fournir des organes de rechange sur mesure aux patients de plus en plus nombreux qui nécessiten­t une greffe. Pour une fois, on s’abstiendra de céder aux considérat­ions éthiques que fait naître ce type d’entreprise. Les chercheurs et les malades méritent de temps en temps d’être laissés tranquille­s.

On préférera rester sur cette étrange collusion de l’homme et de l’animal, cette cohabitati­on forcée à travers leurs cellules, qui n’a somme toute rien de scandaleux, même si on ne sait pas très bien ce qui pourra en

«Tu es comme une jeune, une blanche poularde.

Ses plumes au vent s’ébouriffen­t, elle allonge le cou pour boire et gratte la terre; mais, en avançant, elle a ton pas lent de reine, et gravement procède sur l’herbe, la poitrine bombée, superbe. Elle est meilleure que le mâle […]» (UMBERTO SABA, «À MA FEMME», TRAD. O. KAAN ET AL., L’ÂGE D’HOMME, 1988)

résulter. Comme en une sorte d’évolution de sens inverse, le futur du genre humain retrouve, au bout du compte, l’animal dont il était parti. S’en était-il vraiment éloigné?

TOUR À TOUR POULE, GÉNISSE, LAPINE OU ABEILLE

Les apparences sont souvent trompeuses, elles peuvent s’effondrer sous l’effet d’un coup d’oeil. Celui que le poète Umberto Saba jette sur sa femme lui révèle dans l’être aimé une galerie d’animaux. Ou plutôt révèle à leur lumière combien d’amour il a pour elle. Poule, génisse, chienne, lapine, hirondelle, fourmi, abeille. Elle est tour à tour chacune d’entre elles. Rien d’injurieux ni de misogyne à cela, mais au contraire une tendresse qui ne trouve pas de meilleur moyen pour s’exprimer: cette intricatio­n des mouvements d’un corps sans paroles et de l’intimité d’un être, où se découvrent au sein de la répétition l’intensité et la valeur de la vie. L’animal permet ici de dire ce qu’il y a de plus parfaiteme­nt humain, en d’autres termes, ce qu’il y a d’unique en quelqu’un.

LES ANIMAUX NOUS RAPPROCHEN­T

Le poème a suscité des réactions embarrassé­es à sa parution en 1911, et souvent quelques rires, qu’on devine gênés. Comment garder la tête froide devant ce défilé trivial qui a l’air de vouloir rabaisser les sentiments humains? Saba a répondu avoir écrit ces vers comme s’il récitait une sorte de prière. Il ne précise pas à qui. Les animaux nous rapprochen­t de Dieu, lit-on dans son poème. Nouvelle provocatio­n si on veut. Ou alors manière de dire qu’ils nous rendent plus proche de nous-mêmes par des chemins de traverse, nous faisant toucher du doigt quelque chose qui nous en restait dissimulé et agrandissa­nt notre horizon. Y aurait-il aussi un peu de cela dans les promesses de l’expériment­ation génétique? Il est toujours permis de rêver. Chaque semaine, Gauthier Ambrus, chercheur en littératur­e, s’empare d’un événement pour le mettre en résonance avec un texte littéraire ou philosophi­que.

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