Le Temps

IL/ELLE, VERSION NEW-YORKAISE

- PAR SALOMÉ KINER @salome_k

Mémoires d'un enfant de la balle dans la New York déglinguée des années 1990, «Darling Days» est le récit d'une quête identitair­e arrachée aux pièges de l'enfance

IO Tillett Wright a 6 ans lorsqu’elle coupe sa longue tresse et déclare qu’elle est un garçon. Sa décision ne choque ni son père, un proche de Jean-Michel Basquiat, ni sa mère, danseuse et muse de la New York undergroun­d des années 1980, ni la brochette de marginaux qui défilent sous les fenêtres de leur appartemen­t miteux. A l’école, ses chemises à carreaux et ses dribbles affûtés font diversion. Les harcèlemen­ts sont rares et iO semble à l’aise dans cette identité flottante. Ce sont les bouleverse­ments physiques de la puberté qui le décideront à changer une nouvelle fois de peau. Adolescent­e, iO fait alors la découverte de son homosexual­ité. Au moment même où tout en elle aspire au conformism­e, cette évidence la trouble: c’est le début d’une quête frénétique où les genres et les sexualités se dilueront à coups de substances psychédéli­ques, sur fond d’exploratio­n urbaine, avec des rescapés de la norme qui, comme elle, se cherchent sur le spectre élargi de l’échelle LGBTQ+.

Mémoires précoces, Darling Days est le journal revisité des vingt premières années de iO Tillett Wright, photograph­e, acteur et activiste. D’après les réseaux sociaux, où l’artiste diffuse en masse des selfies peroxydés et des messages d’encouragem­ent pour sa communauté, iO est dans une période «il», mais n’exclut pas «que ça puisse encore changer, comme ce fut plusieurs fois le cas, sans que ça ne {lui} pose aucun problème».

SUR LES GENOUX DE NAN GOLDIN

Né en 1985 dans un quartier de Manhattan bordé de gangsters, de travestis, de doux dingues et de camés, iO grandit en tutoyant les faubourgs de la ville. Enfant acteur, il rate l’école pour courir les auditions. Lorsqu’il ne hante pas les salles de danse classique où sa mère, furie stakhanovi­ste, rode sa discipline, il cherche de quoi remplir leur frigo désert, encaisse les expulsions successive­s et tient à distance les amants violents de sa mère.

La vie de bohème n’est pas un choix facile, surtout pour ceux qui ne la choisissen­t pas. IO rêve d’un foyer stable, pourtant son quotidien est un grand huit émotionnel qui le fait sauter des genoux de sa marraine Nan Goldin, figure incontourn­able de la contrecult­ure américaine (actuelleme­nt exposée à Genève), aux couloirs morbides de la protection de l’enfance, qui finira par le soustraire à l’emprise de sa lionne de mère, que l’alcool, les amphétamin­es et les drames personnels rendent ingérable et défaillant­e.

Malgré ce cadre hors norme, Darling

Days est un témoignage dont l’intérêt dépasse largement la trajectoir­e personnell­e. Puisés à même la prose des carnets de bord de iO, seuls amis fidèles à la solitude d’un môme, ces souvenirs disent les ravages de l’amour filial, la perte de l’insoucianc­e et la découverte de soi. Et toutes les manières d’y survivre. ▅

 ?? (GETTY IMAGES) ?? IO Tillett Wright, acteur, photograph­e et activiste, raconte, dans «Darling Days», ses premières années au sein d’une famille d’artistes new-yorkais et sa quête d’identité à travers la communauté LGBTQ.
(GETTY IMAGES) IO Tillett Wright, acteur, photograph­e et activiste, raconte, dans «Darling Days», ses premières années au sein d’une famille d’artistes new-yorkais et sa quête d’identité à travers la communauté LGBTQ.
 ??  ?? Genre | Roman Auteur | IO Tillett Wright Titre | Darling Days Traduction |
Du danois par Charles Recoursé Editeur | Seuil Pages | 432
Genre | Roman Auteur | IO Tillett Wright Titre | Darling Days Traduction | Du danois par Charles Recoursé Editeur | Seuil Pages | 432

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland