Le Temps

ÉLOGE DE LA FRIVOLITÉ

- PAR ÉLISABETH JOBIN

Dans son dernier roman, Hanne Ørstavik s'attache à explorer la déception amoureuse. La Norvégienn­e n'a pas peur de la futilité, qu'elle aurait même tendance à réhabilite­r

«Se trouve-t-il que les personnes qui nous touchent vraiment nous touchent en des lieux dont nous ne savons rien?» se questionne Paula, quadragéna­ire, assise sur sa terrasse plongée dans l’obscurité. Voilà l’une des questions – elles sont nombreuses dans ce livre – qui mettent le lecteur face à une Hanne Ørstavik inchangée: dans son dernier roman, l’auteure norvégienn­e née en 1969 poursuit son exploratio­n d’histoires amoureuses, abordées par le biais de l’introspect­ion. Ainsi, tout ce qui est vu, vécu, observé, vient nourrir le récit intime d’une narratrice qui ne perçoit le monde qu’au travers des sensations que lui offre son corps.

L’écriture de l’auteure n’est pas pour autant dénuée d’aplomb, ni d’une franchise qui maintient le texte à la surface de la sentimenta­lité. Car une prose impudique se dégage des pages. Quatrième roman de l’auteure traduit en français, Sur la terrasse, dans le noir est en ce sens très proche de

Place ouverte à Bordeaux (Noir sur Blanc), découvert il y a quatre ans. Ici aussi, une femme mûre prend parole et décline ses élans sensuels. Le résultat est déroutant, entre les rêveries d’une grande gamine et les désillusio­ns d’une femme expériment­ée.

RETRAITE SENTIMENTA­LE ET DÉTACHEMEN­T

Paula est en effet sous le coup d’une déception amoureuse. Elle se retranche dès lors dans une «vie très intérieure», tandis que ses liens avec le monde extérieur se font «selon des modes contraires, inaccessib­les, ombrageux». A cette retraite sentimenta­le s’en ajoute une autre, géographiq­ue: le roman retrace le séjour prolongé de Paula en Espagne, où elle partage un appartemen­t à Barcelone avec Vera, anthropolo­gue comme elle. C’est là que, à force de questionne­ments et de cheminemen­ts méditatifs, la narratrice se détache peu à peu du souvenir de Jostein, avec qui elle partageait sa vie en Norvège sans que celui-ci affiche une quelconque attirance pour elle.

«Nous voulons aller quelque part où quelque chose nous touche, une note ou un écho. Un endroit plus dangereux, où ce qui se dit, ou qui est examiné, ouvre sur quelque chose de plus», analyse Paula. Et de tenter d’ouvrir des passages entre cette intériorit­é blessée et l’expression physique de ses émotions. Un retour au monde qui se fait par le biais de conversati­ons et de séances de transe hypnotique avec Vera, ou encore en s’essayant au sexe tarifé: Paula s’inscrit comme escort et va à la rencontre d’hommes prêts à payer pour son corps – thérapie qui vise à contrebala­ncer le désintérêt de Jostein et à apaiser cet «endroit dangereux» qui, en elle, invoque encore et toujours sa présence.

On l’aura compris: Hanne Ørstavik a ceci de particulie­r qu’elle ne se laisse pas désarçonne­r par le reproche de la futilité, qu’elle aurait plutôt tendance à réhabilite­r. C’est d’ailleurs à son effronteri­e qu’elle doit son succès, car il est bien rare que la frivolité bénéficie d’un tel sérieux. Au point où on est tenté d’y voir une forme d’élégance – ou, du moins, de militantis­me, tant les romans de la Norvégienn­e invoquent un droit bienvenu à la sensibilit­é.

Une femme mûre prend parole et décline ses élans sensuels

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Traduction | Du norvégien par Céline Romand-Monnier Editeur | Phébus
Pages | 217
Genre | Roman Auteur | Hanne Ørstavik Titre | Sur la terrasse, dans le noir Traduction | Du norvégien par Céline Romand-Monnier Editeur | Phébus Pages | 217

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