Le Temps

A la découverte du val d’Aoste mafieux d’Antonio Manzini

- PAR MIREILLE DESCOMBES

L’écrivain italien Antonio Manzini publie «Un Homme seul», la quatrième enquête de son attachant sous-préfet Rocco Schiavone. Plongée dans un univers très personnel et souvent troublant

Cap sur l’Italie! Et soyez prêt à tout. Le voyage s’annonce épique et sanglant. Drôle et plein d’humour également. Cette année, notre grande voisine est à l’honneur au festival internatio­nal Quais du polar, qui se tient à Lyon du 6 au 8 avril. L’occasion de découvrir la riche palette de noirs composée par une quinzaine d’auteurs, dont Antonio Manzini.

Né à Rome en 1964, acteur, scénariste et réalisateu­r, ce dernier vient de publier chez Denoël Un

Homme seul, la quatrième enquête du sous-préfet Rocco Schiavone, un policier romain déplacé à Aoste en représaill­es à ses méthodes parfois cavalières et peu orthodoxes. L’homme, en effet, n’hésite pas à faire justice lui-même quand l’impunité des puissants devient par trop criante.

UN POLICIER ROMAIN «EN EXIL»

Tout cela, le lecteur le découvre petit à petit, au gré des pages, au fil des livres. Au début de la série, Rocco Schiavone vit déjà «en exil». Il vient d’arriver à Aoste, une ville provincial­e et faussement paisible qu’il déteste presque autant que son climat. Inconditio­nnel du loden et des chaussures Clarks – il en bousillera une bonne dizaine de paires dans la gadoue –, il souffre de la neige et du froid, abhorre les rues vides, la montagne et le ciel gris. Volontiers bougon, parfois odieux, inconditio­nnel du joint après le petit-déjeuner, notre homme a la quarantain­e bien entamée et désabusée.

Eminemment attachant dans ses excès et ses contradict­ions, il vit seul et passableme­nt solitaire, hanté par le souvenir de sa femme Marina tuée par balles alors qu’il était lui visé. Ce fantôme avec lequel il dialogue chaque soir ne l’empêche pas toutefois de séduire les plus belles femmes de la ville. A la préfecture, il dispose par ailleurs d’une équipe haute en couleur, notamment de deux agents exaspérant­s au quotient intellectu­el limité, Deruta et D’Intino, sortes de Laurel et Hardy. Voilà qui ne lui facilite pas forcément la tâche quand il s’agit de dénouer des intrigues mafieuses.

LE COUP DE BLUES DE ROCCO SCHIAVONE

Car oui, à Aoste aussi, le crime organisé sévit – en l’occurrence la ’Ndrangheta. Par le biais du blanchimen­t d’argent et de prêts usuriers, la mafia calabraise s’infiltre jusque dans les milieux les plus huppés et représente un adversaire redoutable, car sans pitié. Antonio Manzoni la fait intervenir dès son troisième polar, Maudit Printemps, qui vient de sortir en poche chez Folio. Un conseil donc. Lisez-le en premier afin d’apprécier pleinement Un Homme seul. Un livre qui, clairement et pour la première fois dans les enquêtes de Rocco Schiavone, fonctionne comme une suite.

On y retrouve un sous-préfet en bien mauvais état et totalement déprimé. Adele, la fiancée de son meilleur ami, a été tuée à sa place. Tragique répétition! Elle s’était réfugiée en secret chez Rocco à Aoste pour éveiller la jalousie de son amoureux. Mais qui en voulait à ce point au policier pour tenter de l’assassiner dans son lit? C’est ce que Rocco Schiavone va tenter d’élucider. Désormais inséparabl­e de Lupa, la jeune chienne abandonnée qu’il vient d’adopter, il poursuit parallèlem­ent son enquête sur les commandita­ires mafieux de l’enlèvement de Chiara, sauvée in extremis à la fin du livre précédent. Mais ne vous réjouissez pas trop vite. Pour connaître le fin mot de l’histoire, et de toutes ces affaires, il faudra encore attendre. Chez Antonio Manzini, désormais, la réalité ne se laisse plus mettre en boîte.

UNE APPROCHE LIBÉRATRIC­E DU POLAR

«Ce livre m’a littéralem­ent explosé dans les mains, confiait l’écrivain à la sortie de Maudit Printemps. Avec lui, j’ai perdu le contrôle de la série, la capacité de terminer une histoire, de créer un récit qui se suffise à lui-même. Mais d’une certaine manière, j’en suis content car je commençais à me lasser de cette façon de raconter.» Libéré de ce carcan, Antonio Manzini s’adresse donc désormais à son lecteur comme à un ami complice déjà bien au fait de certaines habitudes et particular­ités de son héros, qui peut donc évoluer plus librement. Et le lecteur s’en réjouit.

Cette perte de maîtrise du temps, de la durée, s’accompagne aussi paradoxale­ment d’un style plus elliptique, plus lapidaire et d’une structure narrative moins linéaire. Orfèvre en matière de dialogues rythmés et parfaiteme­nt ciselés, Antonio Manzini saute d’un personnage et d’un lieu à l’autre. Dans Un Homme seul, certaines scènes se passent à Rome, d’autres à Francavill­a al Mare, d’autres encore à la maison d’arrêt de Varallo. L’auteur laisse au lecteur la liberté de faire les liens, de compléter les vides, de s’installer dans les blancs. Bref d’imaginer. Une autre approche du polar, moins attendue, moins «rassurante» mais résolument libératric­e, et prometteus­e.

Lyon. Quais du polar. Palais de la Bourse et autres lieux. Du 6 au 8 avril. www.quaisdupol­ar.com

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(XERNESTO RUSCIO/GETTY IMAGES) Antonio Manzini sera présent aux Quais du polar à Lyon.
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Antonio Manzini
Titre | Maudit Printemps Traduction |
De l’italien par Samuel Sfez
Editeur | Folio policier Pages | 347
Genre | Polar Auteur | Antonio Manzini Titre | Maudit Printemps Traduction | De l’italien par Samuel Sfez Editeur | Folio policier Pages | 347
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Antonio Manzini Titre | Un Homme
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De l’italien par Samuel Sfez Editeur | Denoël Pages | 347
Genre | Polar Auteur | Antonio Manzini Titre | Un Homme seul Traduction | De l’italien par Samuel Sfez Editeur | Denoël Pages | 347

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