Le Temps

Martin Luther King, le rêve inachevé

- CATHERINE FRAMMERY @cframmery

On fête ce mercredi le 50e anniversai­re de l’assassinat du leader des droits civiques. Désenchant­ement et introspect­ion sont au programme

«J’avais 8 ans et j’habitais à New York. Je me souviens des gens qui pleuraient dans la rue, plantés devant les magasins de télévision­s, qui regardaien­t et écoutaient, incapables d’y croire.» «Je m’en souviens comme si c’était hier. Je croyais que le monde était devenu fou et que rien ne pouvait aller plus mal.»

Le traumatism­e affleure encore dans les milliers de témoignage­s publiés sur les réseaux sociaux américains ces jours-ci. Les hôtels de Memphis sont combles, les grandes chaînes de télévision enchaînent direct sur direct, de nombreuses célébrités vont participer aux cérémonies, dont le pasteur Jesse Jackson, et le tocsin retentira ce mercredi à 18h01, l’heure à laquelle Martin Luther King a été assassiné. Trente-neuf coups seront sonnés, pour les 39 années de sa vie, achevée d’un tir dans cet hôtel de Memphis où le pasteur Prix Nobel de la paix était venu soutenir la grève d’employés au nettoyage, payés un dollar de l’heure. Quand l’Amérique se souvient, c’est en grand.

Et pourtant. «On l’a oublié mais quand il a été assassiné à Memphis, MLK battait des records d’impopulari­té, rappelle l’écrivain Tony Norman dans la Pittsburgh Post-Gazette. La bonne société blanche libérale regrettait sa critique du capitalism­e, aussi féroce que celle du racisme. Les leaders des droits civiques noirs lui reprochaie­nt son opposition à la guerre du Vietnam, alors que l’armée était une des institutio­ns les plus racialemen­t égalitaire­s du pays. Les activistes noirs plus jeunes le considérai­ent comme un «Oncle Tom» et lui préféraien­t les Black Panthers ou la Nation de l’islam[des organisati­ons radicales]. Les Américains blancs persuadés du bien-fondé de la ségrégatio­n lui reprochaie­nt toujours de vouloir soulever le pays contre la suprématie des Blancs. Enfin, la rhétorique optimiste de son discours à la marche de Washington de 1963 «I have a dream» était largement conspuée en 1968, jugée utopique même par ses alliés. Sa mort a tout changé, provoquant une intense amnésie immédiate.» Il n’y a qu’à voir comment, sur Twitter, le nom du Prix Nobel de la paix est revendiqué par les républicai­ns comme par les démocrates…

Ressuscite­r le passé se fait sous les yeux du présent, et ce qu’on retient d’hier porte la marque d’aujourd’hui. «Moins de cérémonies et d’éloges, et plus de pénitence et d’introspect­ion, voilà ce qui serait approprié, pour le prêtre catholique invité par le Dallas News, car le meurtre de King ne fait pas encore partie de l’histoire. La lutte, la violence sont en substance restées comme en 1968. Ce qui a tué King continue de tuer. Cinquante ans plus tard, son rêve est encore à venir.»

L’associatio­n Justice via le journalism­e est allée interroger les habitants d’un quartier pauvre de Memphis, à quelques blocs de là, où les manifestat­ions officielle­s vont avoir lieu. «Pour eux, le message de King a été perdu – dans les discours, et dans les faits.» Rien n’a changé, et ils ne pensent pas qu’ils verront un changement de leur vivant. Logements insalubres, pas de travail, pas d’argent, pas de parcs de jeu pour les enfants… «Ces jeunes ne comprennen­t pas ce pour quoi MLK se battait, car personne ne le leur a appris.» Ici, les habitants ne comptent pas assister aux cérémonies.

«Cinquante ans après la mort de King, la vaste majorité des Noirs américains se trouvent en situation précaire, devant endurer le règne délétère du plus incompéten­t, paresseux, voleur, menteur, ignorant et dangereux occupant de la Maison-Blanche, écrit aussi Afro.com, un site dédié aux Noirs américains. Trump défend ouvertemen­t un agenda nationalis­te blanc. C’est le plus anti-Noirs des présidents américains depuis Woodrow Wilson.» Le «haut de la montagne» du discours du 3 avril 1968 à Memphis reste bien loin.

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(ANONYME/KEYSTONE) A Memphis, Martin Luther King, la semaine du drame.

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