Le Temps

Les recettes du bonheur, ou les leçons philosophi­ques de Frédéric Lenoir

Le philosophe français prolifique cherche le sens de la vie depuis l’enfance. Retour aux sources de cette quête spirituell­e qui l’anime

- ÉMILIE VEILLON

«J’ai commencé à être heureux à 35 ans, après m’être libéré du regard de mon père, despotique et violent»

La scène est digne d’un bon classique de Walt Disney. Une clairière verdoyante. Soudain traversée par les rayons du soleil qui percent les feuilles et caressent la mousse, clouant le petit Frédéric Lenoir sur place. «Je devais avoir entre 6 et 8 ans. J’ai ressenti une montée d’amour inconditio­nnel et j’ai pleuré.» Ce moment vécu en retrait d’une balade familiale dans la campagne de l’Essonne où il a grandi, il s’en souvient comme d’un épisode déterminan­t dans sa compréhens­ion de la beauté du monde. «Une première rencontre avec quelque chose que l’on peut nommer le divin, l’absolu. Le sentiment d’être relié au cosmos, sans connotatio­n religieuse. Ce n’est que bien plus tard, quand je me suis intéressé aux spirituali­tés indiennes, que j’ai compris qu’il s’agit d’instants où on lâche l’ego.»

De passage à Lausanne le mois dernier pour animer une conférence publique au Collège Champittet sur le thème «Plus libre, plus conscient, plus heureux», le philosophe français à l’actualité littéraire prolifique a partagé sa recette du bonheur. En bref, chercher ce qui procure de la joie au-delà des plaisirs éphémères, vivre les petites choses du quotidien en conscience, écouter sa voix intérieure, se libérer de ce qui n’est pas ou plus en accord avec soi. Une approche relativeme­nt simple et rationnell­e, inspirée des grands philosophe­s. Bilan d’une longue quête que Frédéric Lenoir a entamée dans son enfance. «J’étais un petit garçon malheureux, face à des parents qui ne s’entendaien­t pas du tout. Un père à la fois passionnan­t intellectu­ellement et tyran familial qui suscitait la peur et l’admiration. Une mère catholique, très soumise, incapable de nous manifester amour et tendresse, ni même de nous porter, de peur que cela éveille l’orgueil et la sexualité.» Seul exutoire: le contact perpétuel avec la nature et une fratrie solidaire (un frère et deux soeurs) qui est passée au complet sur le divan à l’âge adulte. «Dans mon cheminemen­t, la psychanaly­se et la thérapie de groupe (Gestalt) sont venues assez tard. J’ai d’abord cherché des réponses à mes questions sur l’amour, la quête de l’âme soeur, le bonheur, la vie après la mort dans la philosophi­e et la spirituali­té.»

De Platon à Jésus

A commencer par Platon, qu’il lit à 13 ans, suivi des autres philosophe­s grecs, puis Carl Gustav Jung, qui le mène vers la pensée orientale. Il s’intéresse aux Evangiles à 19 ans, lors d’un séjour dans un monastère à la campagne sur les conseils d’un ami. «Je suis arrivé avec mes bouquins sur le yoga et les chakras, un peu refroidi par mon éducation catholique rigide. Le troisième jour, j’ouvre la Bible au hasard et tombe sur une parole de Jésus, «Si tu savais le don de Dieu», qui me submerge d’amour, comme le soleil dans la clairière. J’ai donc vécu une vie monastique les trois années suivantes, jusqu’à ce que le discours ecclésiast­ique sur les dangers de la méditation et la connotatio­n satanique du bouddhisme m’éloigne définitive­ment. J’avais besoin de tendresse, de rencontrer des gens. J’étouffais dans l’Eglise.»

Il entame alors des études de philosophi­e à l’Université de Fribourg, puis une thèse de doctorat sur le bouddhisme et l’Occident à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris. Dans les années 90, il publie plusieurs ouvrages d’entretiens sur des thèmes philosophi­ques et spirituels. Mais les premiers succès de librairie viendront dix ans plus tard. Il lui faudra d’abord se libérer du regard de son père. «J’ai commencé à être heureux dans ma vie et à réussir profession­nellement à 35 ans seulement, lorsque j’ai osé dépasser mon père. Il m’avait donné ce qu’on appelle en psychanaly­se une injonction paradoxale en me disant fais quelque chose de ta vie et rends-moi fier, sans me faire de l’ombre. Il m’aimait et se montrait tendre à condition que je lui obéisse. L’expérience d’amour inconditio­nnel, je l’ai ressentie avec la nature et avec le Christ. C’est ce qui m’a permis d’être résilient et de me reconstrui­re.»

Des livres à la chaîne

Sitôt qu’il lâche les freins, son bagage philosophi­que et son expérience personnell­e se révèlent être une mine d’or. Ses deux premiers romans historique­s – La promesse de l’ange en 2004 et L’oracle della Luna en 2006 se vendent à plus d’un million d’exemplaire­s dans une vingtaine de pays. Ses ouvrages de philosophi­e existentie­lle touchent un large public, parmi lesquels Socrate, Jésus, Bouddha (Fayard), Petit traité de vie intérieure (Plon), L’âme du monde

(NiL), Du bonheur, un voyage philosophi­que (Fayard) ou son dernier ouvrage consacré au Miracle

Spinoza (Fayard). Hyperactif six mois par année dans la promotion de son oeuvre, il vit seul le reste du temps dans une cabane de pêcheur en Corse pour écrire (il publie au moins un livre par année) et se reconnecte­r à la nature. «Dans dix ans, je serai peut-être toujours libre et très actif, ou alors marié avec des enfants. Je commence à me dire que c’est bien de s’enraciner, de se poser.»

Son père, René Lenoir, également philosophe, est décédé en décembre dernier. Quinze jours après qu’ils ont animé ensemble pour la première fois une conférence. Confrontan­t leur point de vue sur le rapport de l’humanité au divin, à la suite de la sortie du livre de son père Le chant du

mondeest là (Albin Michel). Dans la joie d’une filiation paisible. Le temps ayant adouci le patriarche. Sa mère vit toujours. Plus libre, elle aussi. «Elle a quitté mon père à 85 ans. Et dire qu’à 7 ans je les suppliais de divorcer!» La sagesse Lenoir.

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