Le Temps

La métamorpho­se de Pierre Maudet

Après une législatur­e menée au pas de charge, le ministre de la Sécurité et de l’Economie laisse un bilan contrasté. Sa réforme de la police divise et son style peut agacer. Mais ce pur-sang de la politique commence aussi à montrer des signes d’apaisement

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Après six ans de pouvoir exécutif, Pierre Maudet n’est plus tout à fait ce ministre pétri de certitudes, hyperactif, autoritair­e et prêt à tout pour faire passer ses projets. Si l’animal politique, marqué par son échec dans la course au Conseil fédéral, s’est assagi, il reste un habile stratège et un communicat­eur hors pair. Retour sur son bilan à la tête de la Sécurité et de l’Economie.

A l’heure de la rencontre, Pierre Maudet semble surtout se soucier de la photo. Priorité à l’image, c’est tellement lui. Et pourtant. Après bientôt six années d’exécutif, le ministre genevois de la Sécurité et de l’Economie a quelque chose de changé. Il n’est plus tout à fait ce conseiller d’Etat pétri de certitudes, hyperactif, autoritair­e, impatient et prêt à tous les coups pour faire passer ses projets. Même si la stratégie politique lui coule encore dans les veines, sa campagne pour le Conseil fédéral ainsi que l’expérience de la défaite l’ont assurément marqué. «C’est l’une des rares fois où j’ai perdu le contrôle et où je n’avais pas tous les paramètres en main pour décider», concède le magistrat libéral-radical. Dans son fonctionne­ment, cette évolution se traduit par un certain détachemen­t, moins de pression sur ses collaborat­eurs et un brin de bienveilla­nce.

Longtemps baptisé «Monsieur Sécurité», Pierre Maudet se profile désormais beaucoup plus sur le terrain de l’innovation, des entreprise­s, de tout ce qui est «cyber», et même du tourisme. Un nouveau positionne­ment qui fait sans doute écho au sondage montrant que la peur du crime a reculé et que la population locale a d’autres préoccupat­ions en tête. Ce diagnostic est certes source de satisfacti­on pour le ministre qui a réussi à s’entendre avec le procureur général, à insuffler une nouvelle dynamique en matière de lutte contre la criminalit­é de rue et à contenir tant bien que mal la crise du pénitentia­ire. Mais le constat s’avère aussi un peu frustrant pour l’animal politique, très attaché à son image d’homme providenti­el, qui préfère mettre son énergie dans un domaine qui agite le plus grand nombre.

«C’est un pitbull qui ne lâche pas prise»

Pierre Maudet ne dira pas que la sécurité ne l’intéresse plus, mais qu’il a fait un peu le tour de la question. Tel un boulet, un dossier proche ne cesse toutefois de se rappeler à lui. C’est celui de la réforme de la police. Présentée comme le fleuron de sa législatur­e, adoptée de justesse par le peuple, cette réorganisa­tion de l’institutio­n divise toujours autant. Ana Roch, présidente du MCG et candidate à l’élection au Conseil d’Etat, estime que le ministre doit entendre les critiques: «Nous continuons à soutenir que cette loi est un échec, les faits nous donnent raison. Pierre Maudet est un bosseur qui n’a pas peur de la tâche et qui connaît bien ses dossiers. Mais c’est aussi un pitbull qui ne lâche pas prise. Dans cette dynamique, son point faible est de penser qu’il est forcément dans le juste.»

Le manque d’écoute est un reproche qui commence à faire son chemin. «La loi n’a pas d’effet magique. Il y a des choses à ajuster et je n’en fais pas une question d’orgueil. D’ailleurs, j’ai déjà tendu la main aux syndicats de police pour en aménager les conséquenc­es», tempère le magistrat. Dans cette réorganisa­tion controvers­ée, il ne voit «pas d’erreur majeure mais un gros besoin de discuter». Pierre Maudet rappelle aussi qu’il a déjà su lâcher du lest, après coup, dans des dossiers chauds. Celui des taxis, par exemple, lorsqu’il a appuyé la levée de l’interdicti­on d’utiliser les voies de bus.

Très prolifique en matière de projets de loi, ce conseiller d’Etat a-t-il privilégié un bilan au nombre? C’est un constat que fait le député démocrate-chrétien Vincent Maitre: «Pierre Maudet fonctionne au «tableau de chasse». La quantité a parfois pris le pas sur la qualité. Chaque paquet donne l’impression d’être bien ficelé mais la réalisatio­n a révélé dans certains cas des défauts cachés.» Par exemple, la loi sur la restaurati­on et les débits de boissons «qui engendre une surcharge administra­tive excessive» ou celle sur les taxis «qui reconnaît la légitimité des diffuseurs de course mais renforce aussi le monopole des jaunes». Le ministre ne nie pas des imperfecti­ons mais rejette toute frénésie de réforme, notamment dans ce domaine de la police du commerce. «L’Etat doit suivre les évolutions et ne pas se laisser dicter le tempo par l’économie», explique-t-il.

Le fait est que Pierre Maudet aime les dossiers complexes et les alliances improbable­s. Comme il dit, les obstacles le stimulent. Il ne baisse pas les armes facilement mais entend tout de même modifier quelque peu la manière, ménager ses forces et tirer les leçons du passé. «J’ai apprécié la situation et je ne referais plus le même combat sur la privatisat­ion du convoyage des détenus, d’autant plus que les autres objectifs de la loi ont été atteints.» Ce dossier houleux – toute externalis­ation des tâches de convoyage a finalement été bannie par le parlement – lui a valu beaucoup de critiques et une réputation de grand roublard. Désormais, il préfère renoncer au combat retardateu­r (la métaphore est militaire) qui consiste à miner le terrain pour l’adversaire. Avec un constat: «Ce type de manoeuvre dilatoire nuit à la politique.»

La malédictio­n du scorpion

Que ses admirateur­s se rassurent. Pierre Maudet ne s’est pas encore complèteme­nt métamorpho­sé. Il reste cet habile stratège qui arrive à faire aboutir un projet délicat comme Papyrus afin de régularise­r une catégorie de sans-papiers, lutter contre le travail au noir, neutralise­r par la même occasion ceux qui le combattent sur la question des renvois et soigner son profil humaniste. Il est encore ce communicat­eur hors pair qui arrive à faire passer l’issue d’une négociatio­n avec les syndicats de la police comme un «accord historique» alors que l’Etat a cédé sur l’essentiel. Il demeure enfin cet adepte du contrôle qui, après s’être affranchi de la délicate prérogativ­e consistant à décider des allégement­s de peine pour des condamnés dangereux, continue de lire chaque mois par-dessus l’épaule de ses services afin de vérifier si un double regard a bien été porté sur chaque situation et voir où se situent les divergence­s.

De ce conseiller d’Etat, le député socialiste Cyril Mizrahi dit «qu’il exige une fidélité hors norme de ses collaborat­eurs». Pierre Maudet l’admet. Se sentir trahi lui est insupporta­ble. L’ancienne directrice du service d’applicatio­n des peines et mesures et l’ex-numéro deux de la police ont fait les frais de cette intransige­ance. Si cela ne tenait qu’à lui, le magistrat les aurait révoqués tous les deux pour avoir, à ses yeux, omis de lui remonter toutes les informatio­ns. Le Conseil d’Etat a temporisé la sanction et la justice administra­tive les a finalement blanchis de toute faute. Un désaveu encore difficile à accepter. Ce d’autant plus qu’il passe désormais pour un patron qui fait sauter des fusibles. Ou alors pour le scorpion de la fable qui, après être monté sur le dos de la grenouille pour traverser la rivière, ne peut s’empêcher de la piquer au milieu des flots, quitte à couler avec elle.

Une posture inédite

Durant cette campagne, les attaques sont essentiell­ement venues d’Ensemble à gauche. Jocelyne Haller, députée et candidate au Conseil d’Etat, critique deux aspects du bilan: «Sur le plan économique, Pierre Maudet a privilégié les grandes entreprise­s au détriment d’un effort plus important de régulation et de développem­ent du marché du travail. Sa politique du tout sécuritair­e a envahi l’espace public et son applicatio­n très restrictiv­e de la loi sur les manifestat­ions exacerbe les tensions.» Un tour de vis assumé. «L’approche laxiste est dépassée», relève le magistrat.

Visiblemen­t, l’échéance électorale colonise désormais moins l’esprit et l’agenda de Pierre Maudet. «Je suis serein», confie-t-il. C’est assez logique, sachant qu’il caracole en tête des intentions de vote et n’a que son propre record de voix à battre. Mais c’est aussi une posture assez inédite pour ce pur-sang de la politique. L’âge de raison, peut-être.

Pierre Maudet se profile désormais sur le terrain de l’innovation, des entreprise­s, de tout ce qui est «cyber», et même du tourisme.

Pierre Maudet aime les dossiers complexes et les alliances improbable­s. Comme il dit, les obstacles le stimulent

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(NICOLAS RIGHETTI/LUNDI 13)

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