Le Temps

Turbulence­s de campagne à Genève

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Prestation de serment du nouveau Conseil d’Etat à la cathédrale Saint-Pierre, le 10 décembre 2013 à Genève.

A dix jours du scrutin, les conseiller­s d’Etat genevois sortants sont rattrapés par des affaires diverses et variées. Comment expliquer ce calendrier?

Ceux qui fulminaien­t devant une campagne électorale morne, voire inexistant­e, sont aujourd’hui servis. A dix jours des élections cantonales genevoises, les salves se succèdent, touchant un à un les magistrats sortants, épinglés dans la presse pour des affaires diverses. Anne Emery-Torracinta, critiquée pour sa gestion des cas de harcèlemen­t au Collège de Saussure et l’attributio­n d’un mandat au conjoint de son ex-secrétaire générale; Mauro Poggia, interpellé sur une accusation de mobbing dans son départemen­t; Pierre Maudet, visé par des rumeurs d’écoutes abusives; ou encore Serge Dal Busco, rattrapé par une plainte du Tribunal pénal fédéral contre une de ses collaborat­rices, alors employée de la Confédérat­ion.

A quoi faut-il attribuer ces multiples révélation­s qui, en fin de course, risquent de ternir le bilan des candidats? Hasards du calendrier, luttes intestines, acharnemen­t des journalist­es ou simples faux pas des intéressés?

Interrogé à ce sujet au 19h30 de la RTS, l’historien vaudois Olivier Meuwly a livré une conclusion aussi rapide que surprenant­e: la vie politique particuliè­rement agitée au bout du lac s’expliquera­it par le côté sanguin des Genevois. Genève, une république fiévreuse où les électeurs, un brin grégaires, se délecterai­ent d’un déballage à ciel ouvert, dans l’attente d’une énième «Genferei»?

L’hypothèse peine à convaincre. D’autant que les dossiers exposés ces jours-ci sont de teneurs très différente­s. Dans le cas de Serge Dal Busco, par exemple, il s’agit d’une «vieille affaire bernoise» sans lien avec les élections. La gestion de la crise varie, là encore, selon les magistrats. Une suspension aux allures de sanctionex­péditive chez Anne Emery-Torracinta, un soutien indéfectib­le malgré une condamnati­on chez Mauro Poggia et un déni chez Serge Dal Busco.

Absence de débat politique

«L’ambiance actuelle n’a rien à voir avec un prétendu ADN genevois, balaie Renaud Gautier, ancien député PLR. Il y a simplement une absence criante de débat politique qui déplace l’attention médiatique sur des anecdotes.» En vingt ans, cet observateu­r confie n’avoir jamais connu une campagne si «ennuyeuse et délétère». «A part le débat sur la santé lancé par les cliniques privées, peu de sujets de fond sont abordés, personne n’évoque les échéances cruciales qui attendent Genève, comme la réforme de la caisse de pension des fonctionna­ires ou encore la réforme de l’imposition des entreprise­s PF 2017.» Un «silence assourdiss­ant» qu’il juge «inquiétant» pour la législatur­e à venir: «Les candidats devraient avoir le courage d’aborder les thèmes qui fâchent et de laisser de côté les slogans creux.»

Fuites internes

Comment expliquer, dès lors, l’avalanche soudaine de révélation­s, en particulie­r celles touchant Anne Emery-Torracinta? «Tout porte à croire qu’elles proviennen­t de bagarres partisanes et de tentatives d’assassinat à l’interne, estime Renaud Gautier. Autrement dit: des fuites.» «Je ne crois pas à la malveillan­ce des journalist­es, renchérit Béatrice Hirsch, ancienne présidente du PDC genevois. Les informatio­ns ne leur parviennen­t pas par hasard. Dans cette campagne, les partis n’osent pas s’attaquer les uns les autres, alors ils s’attaquent à l’interne, et tous les coups sont permis. Le second tour sera sans doute différent.»

Pour le politologu­e Pascal Sciarini, enseignant à l’Université de Genève, la tournure des événements tient à la médiatisat­ion et à la personnali­sation de la politique. «On parle toujours moins des programmes et des politiques, mais davantage des personnali­tés. La tendance est à l’américanis­ation des campagnes, même si nous restons encore des amateurs en la matière.» A ses yeux, les multiples révélation­s font aussi office de test: «On juge les politiques sur leur capacité à gérer les crises, à réagir sous pression.»

Dommage collatéral de cette focalisati­on sur le Conseil d’Etat: le parlement, quasiment absent de la campagne. «Peut-être que le changement de système n’est pas encore bien intégré, avance le chercheur. Les partis ne savent pas comment faire campagne correcteme­nt pour les deux instances à la fois.»

Unité de façade

Face aux tumultes extérieurs, le gouverneme­nt genevois affiche son unité, en public du moins. «Cette «paix gouverneme­ntale» fait aussi office de carte électorale, estime le Pascal Sciarini. Alors que six conseiller­s d’Etat sur sept remettent leur siège en jeu, ils n’ont pas intérêt à allumer des feux au sein de leur propre collège.»

En définitive, la politique genevoise n’apparaît pas plus cruelle qu’une autre. Dès lors que gouverner, c’est s’exposer, mais aussi rendre des comptes à la population. A ceux qui accusent les journalist­es de souffler sur les braises, on répondra que ces affaires ont au moins un mérite, celui de révéler un pan ou un autre de la manière de gouverner des élus. Ce qui constitue, en soi, une informatio­n au citoyen et un bonus pour la démocratie.

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(SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE)

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