Bachar el-Assad, maître de Damas, sinon de la Syrie
Le régime syrien est en passe de reprendre la Ghouta, une victoire majeure. Mais le président Bachar el-Assad doit composer avec des alliés de plus en plus encombrants
Aux portes de Damas, les soldats syriens font le V de la victoire. L’enclave de la Ghouta, autrefois les vergers de la ville, est sur le point de tomber aux mains du régime après des bombardements massifs, qui ont fait plus de 1600 morts depuis le début du mois de mars. Les derniers rebelles, appartenant au groupe islamiste Jaich al-Islam, doivent être évacués dans les prochains jours de la ville de Douma, malgré l’opposition des combattants les plus jusqu’au-boutistes.
Pendant ce temps, la Russie, l’Iran et la Turquie, qui toutes trois interviennent militairement en Syrie, dessinaient les contours de l’avenir du pays. Réunis mercredi à Ankara, en l’absence de Bachar el-Assad, les présidents Poutine, Rohani et Erdogan ont appelé à un cessez-le-feu général en Syrie, alors qu’aucun bombardement n’était signalé dans la Ghouta.
Alep, pour l’exemple
Cette banlieue de Damas avait été la première région à se soulever et à s’affranchir du pouvoir de Bachar el-Assad en 2012. Depuis, inlassablement pilonnés, les rebelles de la Goutha menaçaient la capitale, tirant des roquettes sur les quartiers gouvernementaux. «La Ghouta représentait un défi permanent au régime», confirme à l’AFP Thomas Pierret, chercheur à l’Université d’Edimbourg. Après avoir reconquis Alep, la seconde ville du pays, en décembre 2016, le président Assad enregistre une nouvelle victoire décisive. A l’inverse, reléguée dans des zones périphériques, la rébellion ne pourra plus peser sur l’avenir du pays.
Pour Bachar el-Assad, la victoire de la Ghouta n’aurait pas été possible sans le soutien indéfectible de ses alliés. A commencer par la Russie de Vladimir Poutine, venue en 2015 au secours du président syrien, alors en grande difficulté. «Le vrai tournant de la guerre a été la chute d’Alep. L’aviation russe a montré qu’elle était prête à raser des quartiers entiers. Au même moment, plusieurs localités de la Ghouta avaient déjà négocié leur reddition», analyse Fabrice Balanche, chercheur invité à l’Université Stanford et spécialiste de la Syrie.
La stratégie gouvernementale d’encercler, d’assiéger, d’affamer et de bombarder les zones insurgées, puis d’obtenir leur reddition et leur évacuation, est éprouvée. Elle a été mise en place en 2014 à Homs, rééditée à Alep et désormais dans la Goutha.
La commission d’enquête de l’ONU qualifie ces évacuations de déplacements forcés, constituant de possibles crimes de guerre. Les humanitaires sont plus circonspects, le cas de la Ghouta illustrant bien les dilemmes auxquels ils font face en Syrie. «Les zones urbaines ne devraient pas être bombardées. Mais, dans ces circonstances désespérées, les évacuations ont peutêtre eu le mérite de raccourcir la bataille, qui, autrement, se serait prolongée rue par rue», avance Jan Egeland, conseiller du négociateur de l’ONU Staffan de Mistura pour les questions humanitaires.
Dans la Ghouta, l’ONU a été écartée des négociations menées directement par la Russie avec les groupes rebelles. Ce qui montre tout le terrain perdu depuis la première évacuation d’Homs il y a quatre ans, quand l’ONU avait pu superviser la sortie des derniers habitants de la vieille ville. A Damas, l’ONU n’est pas en mesure de confirmer les informations selon lesquelles un nombre indéterminé d’hommes auraient été séparés de leurs proches et détenus, avec tous les risques de torture et de disparition que cela implique.
La prochaine bataille
Selon l’ONU, 130000 habitants ont fui la Ghouta depuis début mars. La plupart d’entre eux sont hébergés dans des abris collectifs en périphérie de Damas. 50000 personnes, dont les combattants et leurs proches, sont montées à bord de bus en direction d’Idlib, au nord, la seule province qui échappe encore à Bachar el-Assad. Les membres de Jaich al-Islam, eux, doivent être évacués au nord-est d’Alep, sous la protection de la Turquie. Cette force servira de supplétif contre les Kurdes, à qui l’armée turque vient de reprendre la ville d’Afrine, dans le nord de la Syrie.
Idlib, où sont retranchés des milliers de djihadistes, notamment affiliés à Al-Qaida, sera-t-elle la prochaine grande bataille? «La province est le plus grand camp de réfugiés du monde, avec 1,5 million de déplacés», met en garde Jan Egeland.
Fabrice Balanche ne croit pas au cessez-le-feu promis par la Russie, l’Iran et la Turquie. Les trois puissances avaient déjà établi des «zones de désescalade», lesquelles comprenaient la Ghouta. «Le régime syrien va vouloir pousser son avantage en réduisant les dernières poches de résistance dans la région de Damas, puis entre Homs et Hama, prévoit-il, mais il ne pourra pas aller jusqu’à Idlib sans l’accord de la Turquie, qui veut garder une zone tampon à sa frontière.»
Présents dans l’est du pays pour défaire l’Etat islamique, les Etats-Unis, eux, font mine de plier bagage. La mission touche à sa fin, a estimé mercredi la Maison-Blanche, sans articuler de date de retrait. Les Etats-Unis partiraient donc sur une victoire contre l’Etat islamique mais laisseraient le champ libre à la Russie et à l’Iran. Ils abandonneraient les Kurdes, qui ont pourtant combattu contre l’Etat islamique, face à la Turquie. Les Syriens risquent encore d’être les otages d’une guerre qui les dépasse.
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«Le vrai tournant de la guerre a été la chute d’Alep. L’aviation russe a montré qu’elle était prête à raser des quartiers entiers» FABRICE BALANCHE, CHERCHEUR INVITÉ À L’UNIVERSITÉ STANFORD