Vestiges de l’armée dans la tourmente
Il n’y a pas de musée de l’armée en Suisse, mais une collection de milliers de pièces disséminées sur plusieurs sites. Le Contrôle fédéral des finances estime qu’il y en a trop et veut savoir combien exactement coûte leur conservation
Ce sont deux visions du monde qui s’opposent. D’un côté, les nostalgiques de l’armée accumulent des vestiges militaires, les gardent jalousement, les restaurent et les bichonnent en différents endroits du pays. De l’autre, le Contrôle fédéral des finances (CDF) réclame des comptes, un inventaire et des pièces justificatives démontrant la nécessité de conserver tous ces témoins du passé. «La réglementation renforce la tendance à trop collectionner», relève-t-il dans un triple rapport d’audit publié ce jeudi. Sourcilleux, le CDF s’étonne de n’avoir qu’une estimation globale de la collection de matériel historique de l’armée. Celle-ci est d’environ 7,4 millions de francs à la charge de la Confédération. «Mais on ne sait pas exactement combien la collection coûte par année», s’étonne-t-il. Or, s’il y a bien quelque chose que le CDF déteste, ce sont les approximations.
L’audit porte sur l’Office central du matériel historique de l’armée suisse (OCMHA), plateforme rattachée depuis 2009 à l’état-major général. Cet office central compte cinq unités de personnel, mais la collection de matériel militaire est disséminée entre quatre sites gérés par trois fondations avec lesquelles l’OCMHA a signé des conventions de prestations. Il s’agit de la Fondation du matériel historique de l’armée suisse (HAM, acronyme tiré de son appellation allemande), qui détient dans ses dépôts de Thoune et Berthoud une série impressionnante de chars, véhicules, armes, matériel de corps, chaussures cloutées, couvre-chefs et uniformes, dont celui du général Guisan. A Uster (ZH), la Fondation du matériel historique d’aide au commandement de l’armée (HAMFU) retrace l’histoire des transmissions et télécommunications. Enfin, à Dübendorf, la Fondation du Musée et du matériel historique de l’armée de l’air suisse (MHMLW) expose les avions et les objets qui y sont liés.
Le rêve du général Guisan
Le matériel militaire mis hors service est récolté depuis le XIXe siècle. Durant la Deuxième Guerre mondiale, le général Guisan avait évoqué l’idée de tout centraliser dans un musée de l’armée suisse. Mais celui-ci n’a jamais vu le jour. Le Conseil fédéral et le parlement ont formellement renoncé à en créer un et les objets conservés sont ainsi répartis entre plusieurs musées, institutions et fondations. Pour savoir ce que cela coûte à la Confédération, le CDF a mené une première expertise en 2010. Il a émis des recommandations puis effectué un audit de suivi en 2013. Il s’est replongé dans ce dossier en 2017 et n’a guère constaté d’améliorations, au contraire. «Les recommandations formulées en 2010 n’ont pas été appliquées ou alors de manière inappropriée. Elles restent en suspens», déplore le CDF, qui ajoute que l’entretien mené avec les responsables de l’état-major de l’armée le 4 décembre 2017 n’a pas permis de trouver un accord. Deux mondes s’opposent.
Dans son troisième rapport, le CDF considère que les conventions de prestations et les documents de base manquent de transparence et ne positionnent pas assez fortement l’OCMHA face aux fondations. Il lui reproche de ne pas être en mesure de «chiffrer les coûts de personnel, les loyers, les coûts d’exploitation, de transport et de carburants». Il déplore une absence de «concept de collection» et estime que trop d’objets sont conservés. Il prend l’exemple du musée en plein air de Thoune: sur les 38 chars d’assaut qui y sont entreposés, 28 «n’ont pas leur place dans la collection» si l’on se réfère aux directives, 10 d’entre eux étant des doublons et 18 autres provenant d’armées étrangères.
Une rubrique spécifique
Que répond l’OCMHA à ces critiques? Dans sa prise de position, il affirme s’être toujours efforcé de mettre en oeuvre les recommandations précédentes, conteste certains reproches et assure avoir entrepris une adaptation des conventions de prestations. La collection est-elle pléthorique? L’OCMHA souligne que, en principe, deux exemplaires de chaque témoin du passé, en particulier le matériel de corps, sont archivés et que des exceptions sont possibles. Il souligne que plusieurs variantes de conservation ont été examinées pour le musée en plein air de Thoune, le choix final revenant au chef de l’armée. L’office reproche au CDF d’avoir fait son dernier audit sur la base de documents et l’invite à venir voir ce qui se fait sur place, par exemple l’année prochaine.
Le CDF n’est toutefois pas le seul à s’être préoccupé du concept muséal des reliques militaires. En 2011, la Délégation des finances des Chambres fédérales avait fait une visite d’information auprès de l’OCMHA. Elle avait plaidé pour l’établissement d’une «rubrique budgétaire spécifique» et le Département de la défense avait promis de l’introduire rapidement. Sept ans plus tard, le CDF constate que ce crédit spécifique n’existe toujours pas.▅
Le rapport déplore une absence de «concept de collection» et estime que trop d’objets sont conservés