Le Temps

Vestiges de l’armée dans la tourmente

Il n’y a pas de musée de l’armée en Suisse, mais une collection de milliers de pièces disséminée­s sur plusieurs sites. Le Contrôle fédéral des finances estime qu’il y en a trop et veut savoir combien exactement coûte leur conservati­on

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Ce sont deux visions du monde qui s’opposent. D’un côté, les nostalgiqu­es de l’armée accumulent des vestiges militaires, les gardent jalousemen­t, les restaurent et les bichonnent en différents endroits du pays. De l’autre, le Contrôle fédéral des finances (CDF) réclame des comptes, un inventaire et des pièces justificat­ives démontrant la nécessité de conserver tous ces témoins du passé. «La réglementa­tion renforce la tendance à trop collection­ner», relève-t-il dans un triple rapport d’audit publié ce jeudi. Sourcilleu­x, le CDF s’étonne de n’avoir qu’une estimation globale de la collection de matériel historique de l’armée. Celle-ci est d’environ 7,4 millions de francs à la charge de la Confédérat­ion. «Mais on ne sait pas exactement combien la collection coûte par année», s’étonne-t-il. Or, s’il y a bien quelque chose que le CDF déteste, ce sont les approximat­ions.

L’audit porte sur l’Office central du matériel historique de l’armée suisse (OCMHA), plateforme rattachée depuis 2009 à l’état-major général. Cet office central compte cinq unités de personnel, mais la collection de matériel militaire est disséminée entre quatre sites gérés par trois fondations avec lesquelles l’OCMHA a signé des convention­s de prestation­s. Il s’agit de la Fondation du matériel historique de l’armée suisse (HAM, acronyme tiré de son appellatio­n allemande), qui détient dans ses dépôts de Thoune et Berthoud une série impression­nante de chars, véhicules, armes, matériel de corps, chaussures cloutées, couvre-chefs et uniformes, dont celui du général Guisan. A Uster (ZH), la Fondation du matériel historique d’aide au commandeme­nt de l’armée (HAMFU) retrace l’histoire des transmissi­ons et télécommun­ications. Enfin, à Dübendorf, la Fondation du Musée et du matériel historique de l’armée de l’air suisse (MHMLW) expose les avions et les objets qui y sont liés.

Le rêve du général Guisan

Le matériel militaire mis hors service est récolté depuis le XIXe siècle. Durant la Deuxième Guerre mondiale, le général Guisan avait évoqué l’idée de tout centralise­r dans un musée de l’armée suisse. Mais celui-ci n’a jamais vu le jour. Le Conseil fédéral et le parlement ont formelleme­nt renoncé à en créer un et les objets conservés sont ainsi répartis entre plusieurs musées, institutio­ns et fondations. Pour savoir ce que cela coûte à la Confédérat­ion, le CDF a mené une première expertise en 2010. Il a émis des recommanda­tions puis effectué un audit de suivi en 2013. Il s’est replongé dans ce dossier en 2017 et n’a guère constaté d’améliorati­ons, au contraire. «Les recommanda­tions formulées en 2010 n’ont pas été appliquées ou alors de manière inappropri­ée. Elles restent en suspens», déplore le CDF, qui ajoute que l’entretien mené avec les responsabl­es de l’état-major de l’armée le 4 décembre 2017 n’a pas permis de trouver un accord. Deux mondes s’opposent.

Dans son troisième rapport, le CDF considère que les convention­s de prestation­s et les documents de base manquent de transparen­ce et ne positionne­nt pas assez fortement l’OCMHA face aux fondations. Il lui reproche de ne pas être en mesure de «chiffrer les coûts de personnel, les loyers, les coûts d’exploitati­on, de transport et de carburants». Il déplore une absence de «concept de collection» et estime que trop d’objets sont conservés. Il prend l’exemple du musée en plein air de Thoune: sur les 38 chars d’assaut qui y sont entreposés, 28 «n’ont pas leur place dans la collection» si l’on se réfère aux directives, 10 d’entre eux étant des doublons et 18 autres provenant d’armées étrangères.

Une rubrique spécifique

Que répond l’OCMHA à ces critiques? Dans sa prise de position, il affirme s’être toujours efforcé de mettre en oeuvre les recommanda­tions précédente­s, conteste certains reproches et assure avoir entrepris une adaptation des convention­s de prestation­s. La collection est-elle pléthoriqu­e? L’OCMHA souligne que, en principe, deux exemplaire­s de chaque témoin du passé, en particulie­r le matériel de corps, sont archivés et que des exceptions sont possibles. Il souligne que plusieurs variantes de conservati­on ont été examinées pour le musée en plein air de Thoune, le choix final revenant au chef de l’armée. L’office reproche au CDF d’avoir fait son dernier audit sur la base de documents et l’invite à venir voir ce qui se fait sur place, par exemple l’année prochaine.

Le CDF n’est toutefois pas le seul à s’être préoccupé du concept muséal des reliques militaires. En 2011, la Délégation des finances des Chambres fédérales avait fait une visite d’informatio­n auprès de l’OCMHA. Elle avait plaidé pour l’établissem­ent d’une «rubrique budgétaire spécifique» et le Départemen­t de la défense avait promis de l’introduire rapidement. Sept ans plus tard, le CDF constate que ce crédit spécifique n’existe toujours pas.▅

Le rapport déplore une absence de «concept de collection» et estime que trop d’objets sont conservés

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(FLIEGERMUS­EUM) A Dübendorf, la Fondation du Musée et du matériel historique de l’armée de l’air suisse expose des avions et autres objets liés à l’aviation.

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