Le Temps

Les internaute­s sont enfin prêts à payer l’informatio­n

Au prix de longues réflexions sur leurs tarifs, de nombreux titres enregistre­nt une hausse du nombre d’abonnés numériques. Il ne leur reste plus qu’à les fidéliser

- SERVAN PECA @servanpeca

Enfin, serait-on tenté de dire. Après des années de souffrance et de frustratio­n liées à la baisse structurel­le des recettes publicitai­res et au déclin des ventes de journaux papier, les médias enregistre­nt une bonne nouvelle. Les lecteurs numériques sont de plus en plus nombreux à payer pour avoir accès à une informatio­n de qualité.

C'est le constat quasi général qui a été fait en février, lors d'un séminaire organisé par le groupe Axel Springer (copropriét­aire du Temps, avec Ringier) à Berlin. Ce ne sont pas les clics ou les visites qui ont été analysés, mais l'évolution du nombre de lecteurs payants et le sacrosaint taux de conversion – la transforma­tion d'un visiteur en un abonné payant.

Pour à peu près tous les titres, les courbes sont en hausse. L'effet Trump? Il est probable que le besoin de refuge vers des informatio­ns fiables et vérifiées a joué un rôle. L'exemple le plus visible, c'est celui du New York Times (NYT), devenu, pendant la campagne présidenti­elle américaine, le symbole de la lutte contre les fake news. Le quotidien américain a enregistré l'an dernier une hausse de 42% du nombre de ses abonnés web. Ils sont désormais 2,6 millions, face au million d'abonnés à l'édition papier.

Trump est un déclencheu­r

Mais l'effet Trump ne serait qu'un déclencheu­r. Car, plus d'un an après l'élection américaine, les chiffres continuent d'augmenter. Autrement dit, les internaute­s restent fidèles. Et cela ne concerne pas que les lecteurs du NYT. Le Washington Post, le Guardian, Le Monde, Le Temps… tous font le même constat.

Mais parce que le quotidien new-yorkais est coté en bourse, il est aussi le plus transparen­t. En général, difficile de connaître les chiffres concernant les abonnés numériques. Les auteurs d'une étude menée l'an dernier par le Reuters Institute et l'Université d'Oxford en sont en tout cas convaincus: «la croissance du nombre de personnes prêtes à payer est limitée. Pour l'instant, les revenus lecteurs, bien qu'en progressio­n, compensent rarement la baisse des revenus traditionn­els [liés à la publicité, ndlr].»

Mais il y a un espoir, une tendance de fond: selon différents sondages réalisés aux Etats-Unis, la tranche d'âge de 16 à 35 ans est celle dont la propension à s'abonner aux médias numériques a progressé

L’offre lancée par «Le Temps» sur QoQa a permis de gagner près de 1000 abonnés en douze heures

le plus vite ces dernières années. D'ici à 2020, prévoit d'ailleurs le cabinet Deloitte, les recettes publicitai­res et les revenus lecteurs pourraient être de même grandeur, alors qu'en 2012 certains médias dépendaien­t à 90% de leurs annonceurs.

Cette croissance, les médias la doivent aussi à eux-mêmes. Aux leçons qu'ils ont tirées des analyses d'audience sur leur site. Mais aussi aux efforts qu'ils ont fournis. Leurs offres se sont adaptées, les grilles tarifaires sont plus sophistiqu­ées, les prix ont été revus à la baisse. Nombreux sont ceux qui proposent aussi des offres d'appel, limitées dans le temps. Celle qui a été lancée par Le Temps sur QoQa.ch, un dimanche de mars, a par exemple permis de gagner près de 1000 nouveaux abonnés en douze heures.

Fidéliser les nouveaux arrivants

Tout n'est pas gagné pour autant. Les modèles de paywall – ces «murs» qui empêchent un visiteur de consulter autant d'articles qu'il le souhaite sans payer – ont beaucoup évolué. Et ce n'est pas fini. Cinq ou dix articles gratuits par mois? Des vidéos en libre accès ou réservées aux abonnés? Quelle part de contenu premium? Des dizaines de sortes de frontières entre payant et gratuit sont expériment­ées. Toutes ne sont pas couronnées de succès. Le Matin du Soir et son offre (payante) à la carte n'aura par exemple duré que dix-sept mois.

Aux Etats-Unis, le NYT propose trois abonnement­s, donnant accès à une plus ou moins grande part de son contenu. Certains vont encore plus loin dans la précision. En Allemagne, Die Zeit travaille sur un algorithme qui devra servir à déterminer, avant de publier un article, si celui-ci doit être libre d'accès et faire l'objet d'une notificati­on (un push), ou s'il est plus pertinent de réserver sa lecture aux abonnés et de ne le publier que dans l'espace premium du site, baptisé Z+. Du revenu au cas par cas, en somme.

Si chacun cherche la bonne formule, il y a un point commun entre toutes ces stratégies: une personnali­sation de l'offre éditoriale et de l'approche commercial­e, adaptées le plus possible aux besoins de chacun. Les abonnés sont donc facturés au plus près de ce qu'ils consomment. Comme l'a montré le débat autour de «No Billag», certains estiment que le secteur des médias doit, comme la télévision et la musique, se plier au «pay per view».

L'objectif, lui aussi, est le même pour tous: fidéliser ces lecteurs payants en ménageant leur porte-monnaie. Maintenant qu'ils sont enfin de retour, personne n'a envie de les voir repartir.

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