Le Temps

Ian Poulter, le golf sur les montagnes russes

Son come-back est peut-être moins spectacula­ire que celui de Tiger Woods, mais l’Anglais jouera lui aussi le Masters cette fin de semaine à Augusta. Un miracle au vu des derniers mois et des dernières heures

- PHILIPPE CHASSEPOT

Ian Poulter disputera le Masters qui débute jeudi à Augusta. A priori rien de renversant, s’agissant de l’un des piliers de l’équipe européenne de Ryder Cup, cinquième joueur mondial en 2010 et qui participer­a à son treizième Masters. A 42 ans, sa place est en Géorgie plutôt qu’à commenter l’épreuve dans les studios de Sky Sports. Mais la carrière de Poulter est devenue complèteme­nt folle depuis un an, et l’Anglais a réussi à se qualifier seulement dimanche dernier, grâce à une victoire – elle aussi irréelle – au Shell Houston Open.

Il faut remonter jusqu’à l’hiver dernier pour tout comprendre et raconter cette histoire hors du commun.

En février 2017, Ian Poulter est 206e mondial, son pire classement depuis octobre 2000. Blessé au pied à l’été 2016, il a manqué quatre mois de compétitio­n et rame pour retrouver un niveau de jeu standard. Il peut encore jouer grâce au statut particulie­r dont bénéficien­t les blessés sur le PGA Tour: une exemption médicale pour aller chasser un minimum de dollars sur un nombre donné de tournois. Une course qui échoue de peu en avril 2017; il lui manque quelques billets et n’est plus autorisé à évoluer sur le circuit américain.

Sauvé par le règlement

L’Américain Brian Gay pensait avoir eu plus de chance. Placé dans la même situation, il parvient à sauver ses droits de jeu grâce à une bonne performanc­e sur son tout dernier tournoi. Il fête ça dignement avec son épouse, grande amatrice de champagne et de vins rouges, avant de recevoir un mail assassin du PGA Tour: les règles ont changé, les calculs ne se font plus sur les gains mais sur les points FedEx (le sponsor principal du circuit), et donc désolé, mais ça ne va finalement pas le faire.

Furieux, Brian Gay lance une requête officielle et conteste que l’on puisse changer le règlement en cours de saison, sans même prévenir les joueurs. Contre toute attente, sa demande est acceptée par la pourtant ultra-rigide institutio­n. Avec un deuxième effet Gay, inattendu: le nouveau classement qualifie lui aussi Ian Poulter pour la suite de la saison 2017. La réaction du joueur anglais? Du Poulter classique, furieux contre le PGA Tour et la terre entière pour l’avoir mis dans des états émotionnel­s extrêmes, mais aussi un texto enflammé à son camarade de jeu: «Tu ne peux pas savoir à quel point je t’aime!» Quelques bons résultats plus tard, sa carrière est relancée: il pourra jouer à plein temps aux Etats-Unis en 2018. Mais pas le Masters.

Sauvé au dernier tournoi

Il aurait pour cela fallu finir dans les cinquante premiers mondiaux fin décembre, et cette quête-là a échoué de peu elle aussi (54e). Reste malgré tout une petite chance fin mars: réussir un grand tournoi de match-play à Austin, Texas. Intenable, «Poults» enchaîne quatre victoires dans ses rencontres en tête à tête pour aller en quarts de finale, et voit fondre sur lui officiels et journalist­es, unanimes: cette fois c’est sûr, il sera 50e au classement du lundi suivant, synonyme d’invitation pour Augusta. Il savoure son sandwich et se dirige vers le tee de départ en toute légèreté, quand un représenta­nt du Tour européen l’accoste, tête basse. Le préposé aux tables de multiplica­tion s’est trompé, il sera finalement 51e et a encore besoin de gagner son quart de finale. Habité par la colère et la frustratio­n, il explose, pour perdre nettement.

Fin de l’histoire? Non, il lui reste une dernière opportunit­é, mais la plus aléatoire de toutes: jouer et gagner le Houston Open pour récupérer la toute dernière place réservée par les organisate­urs. Il hésite, décide d’y aller à la dernière minute, pour une contre-performanc­e prévisible: +1 le jeudi, classé 123e, et plus aucune chance dans une épreuve aux scores historique­ment très bas et où un seul mauvais tour vous condamne. Il en profite pour préparer ses bagages dès le vendredi matin, avant son deuxième tour, pour filer plus vite à l’aéroport après son éliminatio­n. Et là, le miracle: -8 le vendredi, -7 le samedi, la tête du tournoi et un dimanche de rêve où il compte jusqu’à trois coups d’avance à sept trous de la fin. Il en a un de retard sur Beau Hossler, jeune Texan déchaîné, sur le tout dernier green.

Sauvé sur le dernier trou

A l’ancienne, Poulter rentre un putt de 8 mètres sur le 18, arrache le play-off et s’impose dès le premier trou de la prolongati­on. Un exploit: c’est la première fois depuis 35 ans qu’un joueur classé au-delà de la 120e place après un tour s’impose aux Etats-Unis. Gary Player, le Sud-Africain de 82 ans aux neuf titres, avait pris fait et cause pour Poulter le dimanche matin sur Twitter: «Que la force soit avec toi. Je serai à fond derrière toi mon ami. Reste fort, patient, positif.»

Pourquoi l’un des cinq plus grands joueurs de l’après-guerre prend-il ainsi parti pour un Anglais jamais titré en Grand Chelem? Parce qu’il a bien compris qu’il était l’un des leurs, même sans le dixième de son palmarès: un joueur hors norme, capable d’exploiter tout son potentiel. Il ne sera certes pas favori à Augusta, avec le retour de Woods et la densité hallucinan­te de talents au sommet du golf mondial. Il est facile d’imaginer qu’il sera épuisé, après deux semaines aussi intenses en termes de dépenses physiques et nerveuses. Facile d’imaginer le contraire aussi: il n’a manqué qu’un seul cut là-bas, pour trois top 10. Et il se connaît mieux que personne, pour composer avec une folie totalement assumée. «Mon cerveau, c’est comme une explosion dans une usine de feux d’artifice. C’est fou, mais ça me plaît. Si je devais tout raconter à un psychologu­e, c’est lui qui aurait alors besoin d’aller consulter à son tour!»

«Mon cerveau, c’est comme une explosion dans une usine de feux d’artifice. C’est fou, mais ça me plaît» IAN POULTER

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(LEE SMITH) Ian Poulter. C’est la première fois depuis 35 ans qu’un joueur classé au-delà de la 120e place après un tour s’impose aux Etats-Unis.

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