Le Temps

Cristiano Ronaldo, l’évolution droit au but

Avec l’âge, les champions évoluent pour durer. Si Lionel Messi recule sur le terrain, Cristiano Ronaldo se rapproche du but pour mettre son physique et sa technique au service de l’efficacité

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

La puissance physique et la perfection technique du retourné acrobatiqu­e de Cristiano Ronaldo mardi soir à Turin contre la Juventus sont venues rappeler visuelleme­nt à quel point le Portugais est un joueur exceptionn­el. Cette dimension n’apparaît en effet que rarement sur le terrain; elle s’exprime d’ordinaire surtout de manière chiffrée et désincarné­e: tableau d’affichage, classement des buteurs, statistiqu­es, records.

Le deuxième but renversant du Madrilène n’en finit pas de faire le tour des réseaux sociaux et d’alimenter les discussion­s des cafés, forums, plateaux télé. Son premier, inscrit dès la 4e minute de jeu à la réception d’un centre d’Isco, en dit pourtant beaucoup plus sur lui. Ce pur but d’avantcentr­e, en une touche létale sur la première occasion (peut-être même sur son premier ballon), tout en jaillissem­ent musculaire et instinct du buteur, rappelle ceux qu’il avait inscrits au tour précédent contre le PSG. Des réussites que n’aurait pas reniées Gerd Müller.

Un «poney de cirque»

Des buts qui jurent avec les images disponible­s de Cristiano Ronaldo à ses débuts avec Manchester United. Dans les compilatio­ns sur YouTube, toutes ses actions démarrent au milieu du terrain, côté gauche. Le Portugais a le numéro 7 et les chaussures blanchies par la craie de la ligne de touche. Il va très vite, ou très lentement s’il veut humilier son défenseur. On le compare alors à George Best ou à un «poney de cirque», selon que l’on aime ou non son style de jeu.

Alex Ferguson le pousse à devenir plus efficace et à marquer davantage, mais c’est sensibleme­nt le même joueur qui signe au Real en 2009. «CR9» (le 7 est attribué à Raul) a 24 ans et exploite sa vitesse sur le côté. Son replacemen­t coïncide avec ses 30 ans. «En Espagne, il est assez fréquent de voir des joueurs reposition­nés une fois passé la trentaine», explique Luis Figo.

C’est également le cas de Lionel Messi, désormais plus constructe­ur que finisseur, qui part de plus loin et met son pouvoir d’attraction sur les défenses au service de ses coéquipier­s démarqués. Même s’il est devenu moins égoïste, son «alter et goal» a fait le chemin inverse. Il s’est rapproché du but et se concentre sur son rôle de buteur.

Avec l’âge, Cristiano Ronaldo a perdu sa pointe de vitesse. Aujourd’hui, si l’on parle d’attaquants rapides, on pense à Mohamed Salah ou à Kylian Mbappé. Lui ne dribble quasiment plus (une tentative par match en moyenne, contre trois lors de sa première saison au Real) et sa fameuse talonnade derrière la jambe d’appui lui sert surtout à se dégager. Il a également modifié ses habitudes en salle de fitness pour perdre du volume musculaire (et un kilo), travailler davantage l’explosivit­é et la vitesse de réaction. «Son jeu a évolué, c’est une bête dans la surface, expliquait mardi dans L’Equipe le défenseur central français de Séville Clément Lenglet. Si j’avance, il recule. Si je vais à droite, il va à gauche. Il est toujours dans le contre-pied, on a très souvent un temps de retard.»

Les mêmes options que Federer

Qualité technique et condition physique sont désormais d’une efficacité maximale dont l’économie de moyens garantit la pérennité. Cette orientatio­n n’est pas sans rappeler l’évolution d’un autre grand champion, Roger Federer, depuis à peu près la même période. Comme Federer, Cristiano Ronaldo a mis l’accent sur des priorités. Il ne choisit pas ses compétitio­ns mais cible ses objectifs.

C’est Zinédine Zidane qui l’a convaincu de jouer moins. Le joueur, qui autrefois pestait de sortir à 4-0 à la 82e minute, accepte désormais d’être inclus dans la rotation du Real. Le paradoxe veut qu’en se reconverti­ssant en buteur de surface, Cristiano Ronaldo ait abandonné ses ambitions de Pichichi (Luis Suarez 2017, Messi 2017 et 2018).

Il est devenu plus dépendant des autres, quitte à être transparen­t avec le Real Madrid lors du dernier Clasico ou impuissant avec le Portugal à Genève contre les Pays-Bas. Qu’importe, lorsque reviennent les beaux jours et les grands soirs, il est là pour jaillir. Printemps 2016: deux buts en huitième contre la Roma, triplé en quart de finale retour contre Wolfsburg. Printemps 2017: cinq buts en huitième contre le Bayern, triplé contre l’Atlético en demi-finale, doublé contre la Juve en finale. Printemps 2018: trois buts contre le PSG, doublé contre la Juve. Série en cours.

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